Cette première de Don Giovanni à Rouen en version concert ce 16 avril restera parmi les grands moments de cette fin de saison lyrique, dans un opéra plein à craquer. Un dispositif scénique simple, avec une estrade placée efficacement entre l’orchestre et le public, permet aux chanteurs de se mouvoir et de chanter, tantôt debout, tantôt assis.
De la distribution vocale on retient surtout les trois protagonistes du trio des masques.
Donna Anna est chantée par la soprano britannique Nardus Williams, impressionnante et impériale dans sa magnifique robe noir et blanc. Elle interprète avec calme, majesté et une grande force vocale les deux airs « Or sai chi l’onore » et « Non mi dir, bell’idol moi », les agrémentant de vocalises rarement entendues. Il est dommage de voir et d’entendre si peu cette artiste en France.
Habituée du rôle de Mimi, habillée d’une robe lamée, Yaritza Veliz confère à Donna Elvira une grande force dramatique : le personnage s’apparente presque à une nymphomane hystérique, et donnerait raison à Don Giovanni quand il dit d’elle « La povera ragazza e pazza » ! Dotée d’une belle voix puissante, son jeu de scène charme et elle ajoute avec aisance des ornements inhabituels dans ses deux airs « Ah fuggi il traditor » et « Mi tradì quell’alma ingrata », déclenchant ainsi les faveurs du public.
Eric Ferring, remarqué dans Pong à New York, est ici un extraordinaire Don Ottavio. Ses deux airs « Dalla sua pace » et « Il mio Tesoro intanto », chantés avec sérénité, , déclamés avec une facilité déconcertante, sont des instants de pure beauté – surtout quand il n’hésite pas à rallonger les notes à la fin des airs, lesquels font partie des grands moments de cette soirée. Le public ne s’y trompera pas au moment des saluts.
Habitué des rôles mozartiens, Peter Kellner impressionne en Leporello. Il est excellent dans son jeu de cabotinage dans l’air du catalogue, mais également dans tout l’opéra, notamment par la justesse de son chant et par son jeu de scène. Ce rôle lui va comme un gant. Sa voix est d’une ampleur rare mais il a par moments du mal à en contenir la puissance, surtout dans ses duos avec Don Giovanni.
Après avoir tenu de rôle de Barberine à Vienne, Johanna Walroth campe une Zerlina qui minaude juste ce qu’il faut devant Masetto. Ses deux airs, « Batti, batti, o bel Masetto » et « Vedrai, carino » sont agréablement chantés, même si la voix est quelque peu métallique, surtout dans le deuxième acte ; petit tour de chauffe pour une artiste qui doit chanter dans Cléopatre de Handel cet été à Glyndebourne !
Anthony Reed qui a fait ses débuts dans Le Viol de Lucrèce au Royal Opera House est un très honnête Masetto, même si dans son jeu de scène, il n’est guère crédible en paysan amoureux, à tel point que par moment on le confondrait presque avec Leporello.
La basse danoise Nicolai Elsberg a indéniablement le physique et la voix profonde du Commandeur, en dépit de quelques petits défauts de prononciation.
Reste donc Don Giovanni. On a déjà pu admirer Huw Montague Rendall dans divers rôles mozartiens (le Comte à Nancy, Papageno à Bastille) mais aussi en Hamlet, Marcello, Mercutio ou Pelléas. Ce soir, si le chant reste beau, il est par moments couvert par ses partenaires, par manque de puissance. Par ailleurs, l’interprète ne parvient pas toujours à donner le cynisme et la noirceur qui rendraient le personnage vraiment crédible. L’éclat de rire par lequel s’achève « Fin ch’han dal vino » n’est pas très heureux, et « Là ci darem la mano » ne convainc pas réellement. Un très joli moment : « Deh vieni alla finestra », chanté assis à côté du joueur de mandoline, dans un tempo des plus lents, emporte l’adhésion de tout le public.
Au nombre des grands moments de la soirée, on retiendra, au premier acte, un quatuor « Non ti fidar » (Don Giovanni, Donna Elvira, Donna Anna, Don Ottavio) tout en nuances, accompagné par un orchestre tout en retenue, ainsi que le finale du premier acte, suivant le magnifique trio des masques, où l’orchestre est littéralement emporté dans un tourbillon suscité par le chef survolté et sautillant.
Dès les premières notes de l’ouverture, on a compris que l’orchestre de l’Opéra et le chœur Accentus étaient dans une forme éblouissante. L’orchestre était dans une disposition particulière : de gauche à droite, piano forte, contrebasses, violoncelles, altos, violons et timbales ; vents et bois derrière. On a pu apprécier avec délectation chacun des pupitres, dirigés par la baguette avisée et précise de Ben Glassberg, qui reçoit des suffrages mérités au moment des saluts.
Don Giovanni : Huw Montague Rendall
Leporello : Peter Kellner
Donna Elvira : Yaritza Véliz
Donna Anna : Nardus Williams
Commendatore : Nicolai Elsberg
Don Ottavio : Eric Ferring
Zerlina : Johanna Wallroth
Masetto : Anthony Reed
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dir. Ben Glassberg
Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Don Giovanni
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, créé à Prague en 1787.
Opéra de Rouen, concert du mardi 16 avril 2024.