Concert d’exception : Lisette Oropesa et Benjamin Bernheim enflamment le Théâtre des Champs-Élysées
Plus qu’à un concert, c’est à une dizaine de petits moments de théâtre que nous convient ce soir Lisette Oropesa et Benjamin Bernheim. En effet, sans partition sous les yeux, ces deux immenses interprètes se relaient non seulement pour chanter mais aussi pour jouer trois duos et six airs d’opéra dans un programme très rigoureusement structuré en deux parties : italienne la première, française la seconde. Dès l’entrée du ténor, une bouteille à la main, afin d’investir le rôle de Nemorino, le spectateur comprend qu’il va être témoin d’un grand moment de musique et pas de l’un de ces innombrables spectacles où plusieurs chanteurs alternent dans des scénettes fourre-tout sautant du coq à l’âne pour épater le bourgeois. Ce soir, on ne badine pas : on travaille sérieusement. Cela n’empêche pas nos deux artistes d’être drôles quand il le faut, comme dans ce désopilant duo de L’elisir d’amore donizettien où Benjamin Bernheim résonne de clarté, à la fois par l’articulation et le timbre, et Lisette Oropesa se distingue d’emblée par la pureté de l’accent et la virtuosité des vocalises. Et si le Duc du Mantoue du premier se réfugie par moments dans des notes émises de manière un peu trop nasale, il se singularise aussi par la sûreté de l’émission, de même que sa Gilda se caractérise par une déferlante de couleurs et d’ornements rares. Toute aussi délicieuse, sa Juliette donne la réplique à un Roméo bien connu du public parisien, dans un duo des aveux des plus exquis.
Côté airs solistes, nos deux chanteurs proposent le plus souvent des rôles qu’ils fréquentent assidument à la scène – d’où sans doute leur aisance –, sans toutefois se priver de s’essayer à des personnages qu’ils inscriront un jour à leur répertoire. Il en est ainsi de Mario Cavaradossi que Benjamin Bernheim n’a pour le moment osé qu’au disque, et en français. De Donizetti à Puccini, la transition se fait tout naturellement, et le peintre amoureux prend aussitôt forme dans une ligne dont l’ampleur se conjugue à la solidité de l’aigu. Sur le versant français, le ténor teste aussi Nadir qu’il aborde initialement piano, avant de conclure dans un crescendo époustouflant. Dans cela, il est précédé par la Marguerite inédite de son acolyte, à l’élocution exemplaire, malgré quelques notes légèrement étirées.
L’Amalia verdienne, en revanche, n’a plus aucun secret pour la soprano américaine : très articulé, le récitatif prépare une cavatine angélique – quel legato !!! –, puis cabalette aux fioritures devant mettre en lumière toute la ductilité de son instrument. On connaît les affinités de Lisette Oropesa avec Meyerbeer. Ainsi son Isabelle impressionne-t-elle par la variété de ses teintes et ses notes filées.
À la tête de l’Accademia du Teatro alla Scala de Milan, Marco Armiliato dirige avec exactitude une formation dont les percussions et les cuivres s’enflamment dans l’ouverture de La forza del destino, généralement si problématique dans des tutti qui ne sont aujourd’hui que plus envoûtants. Une mention particulière aussi pour les effets des vents, et pour les cordes, dont le prodigieux violoncelle solo d’Andrea Cavalazzi, dans le prélude des Masnadieri, annoncé dans le programme de salle comme étant une sinfonia : il en a, en effet, tous les attributs. Et si les percussions sonnent un peu bruyantes chez Gounod, c’est parce que la partition le demande ; elle est d’ailleurs parfaitement maîtrisée par l’orchestre dont les vents sont à nouveau un enchantement. La cohérence de l’ensemble, la complicité et l’intensité de l’approche, voilà ce qui fait la force de ces jeunes musiciens.
Dans les deux bis se reflète enfin tout l’esprit de ce concert d’exception : aucune facilité là non plus mais, en revanche, deux scènes dont l’intensité ne fléchit jamais. À peine terminé un air des souvenances extrêmement ardent et varié, Benjamin Bernheim prend un air songeur, avant d’enchaîner sur le duo de Saint-Sulpice où un affrontement dramatiquement vécu laisse la place au miracle d’une séduction renouvelée. Chantée sur le fil, la rencontre entre Rodolfo et Mimì confirme cette belle entente.
Le public est aux anges !!! Qui ne le serait pas ?
On réplique à la Scala le 29 avril et à Baden-Baden le 4 mai. Avis aux amateurs…
Retrouvez notre interview de Benjamin Bernheim ici !
Lisette Oropesa, soprano
Benjamin Bernheim, ténor
Orchestre de l’Accademia Teatro alla Scala de Milan, dir. Marco Armiliato
Giuseppe Verdi – La forza del destino, Ouverture
Gaetano Donizetti – L’elisir d’amore, « Caro elisir! sei mio! » (Nemorino, Adina)
Giacomo Puccini – Tosca, « Recondita armonia » (Mario Cavaradossi) Benjamin Bernheim
Giuseppe Verdi – I masnadieri, « Tu del mio Carlo al seno » (Amalia) Lisette Oropesa
Giuseppe Verdi – I masnadieri, Prélude
Giuseppe Verdi – Rigoletto, « Signor né principe – io lo vorrei » (Gilda, Duca)
Charles Gounod – Roméo et Juliette, « Ange adorable » (Roméo, Juliette)
Charles Gounod – Faust, « Ah ! Je ris de me voir si belle » (Marguerite) Lisette Oropesa
Georges Bizet – Les Pêcheurs de perles, « Je crois entendre encore » (Nadir) Benjamin Bernheim
Charles Gounod – Roméo et Juliette, Ouverture
Giacomo Meyerbeer – Robert le Diable, « Robert, toi que j’aime… » (Isabelle) Lisette Oropesa
Jules Massenet – Manon, « Ah ! fuyez, douce image, à mon âme trop chère » (Des Grieux) Benjamin Bernheim
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du vendredi 26 avril 2024