NORMA : le chef-d’œuvre de Bellini programmé avec succès à Massy

Norma, Opéra de Massy, 25 avril 2024

Un choix courageux d’Opera 2001 en coproduction avec l’Opéra de Massy

Une production très classique

Il faut tout d’abord saluer le courage de la compagnie lyrique espagnole Opera 2001 et de son coproducteur, l’Opéra de Massy, d’avoir choisi de proposer un titre aussi difficile que Norma, meurtrier pour le rôle-titre, dans son programme de la saison 2023-2024. Ancien ténor, ayant mené une carrière respectable pendant une bonne vingtaine d’années, reconverti aujourd’hui dans la mise en scène, Aquilès Machado signe une production très classique que d’aucuns n’hésiteraient sans doute pas à définir de kitch. Une conception, cependant, à laquelle beaucoup de chanteurs souhaiteraient probablement être plus souvent conviés, sans obstacles et sans embûches inutiles à l’épanouissement du chant. Très statique, elle campe une Gaule primitive dans un décor presque unique où la butte de la forêt sacrée s’ouvre pour accueillir ensuite la maison de l’héroïne et enfin le temple d’Irminsul. Quatre puits de lumière, alternativement violette, bleue claire ou verte, créent une atmosphère suggestive que viennent préciser des projections discrètes à l’arrière-plan : le cosmos à l’acte I, se muant en des tours de verre dans le style de la Défense, pour le huis-clos privé ; les enfants sacrificiels gesticulant au début du II ; tandis qu’à l’épilogue l’action semble se déplacer sur la lune d’où l’on perçoit la terre, pour retrouver à la fin l’intérieur du dôme du Panthéon de Rome devant signifier le gong du rappel des druides ; un dolmen, quelque peu à la Stonehenge, se dressant pour l’ultime tribut. Ce dispositif est conçu par Alfredo Troisi, créateur aussi des costumes, qui pare d’abord Norma d’une cuirasse, la faisant davantage ressembler à une Brünnhilde belliqueuse qu’à une Sieglinde amoureuse, Clorinde plus qu’Erminie, Armide guerrière se débarrassant des oripeaux de l’ensorceleuse éprise. Un sacrifice humain a d’ailleurs lieu pendant sa scène de présentation. Toute de rouge vêtue, elle devient Médée à l’acte II, avant de revêtir le noir de la mort à la scène finale. La direction d’acteurs, globalement, reste néanmoins assez limitée, les chanteurs chantant le plus souvent à l’avant-scène, les bras tendus en avant.

Une équipe bien huilée

Saluons aussi une équipe de chanteurs bien soudée, brillant par une santé vocale qui est vraisemblablement le reflet de leur jeune âge. Dès sa prière à la lune, la Norma de Chrystelle di Marco se distingue par ses modulations vers le bas du registre : les moments de transition sont gérés avec la plus grande maîtrise, malgré un récitatif assez banal, la cabalette de l’espoir laissant la place aussi bien à l’éclat qu’aux meilleures fioritures. Dramatique dans le récitatif de l’infanticide, elle donne parfois dans le parlando, dans les passages où l’articulation devient la plus difficile. Menaçante à souhait dans ses propos de vengeance, elle fait des merveilles dans le duo avec Pollione, même si les élans de la colère lui font oublier un ou deux vers, quelque peu bafouillés.

Annoncée comme étant un membre du chœur, Leonora Ilieva range aussitôt son Adalgisa du côté du secondo soprano, ce qu’elle est en effet. Elle déploie une ligne suave dès le récitatif précédent l’entrevue avec son séducteur, qu’elle aborde ainsi de manière à donner davantage de relief à l’introspection. Dans les deux duos avec sa rivale, on entend bien deux sopranos : si le premier est une grande preuve d’intimité où Norma joue toujours des notes plus graves, un legato singulier et des variations généreuses dans la strette, le second est à la fois un joli moment de belcanto et d’entente ravissante, l’allegro étant chanté main dans la main, comme au bon vieux temps. Impérieuse dans le trio avec Pollione, la prêtresse devient très démonstrative, grâce notamment à une technique bien expérimentée.

Pollione juvénile, le proconsul de Jean-François Marras se caractérise tant par le volume que par de belles couleurs. Insolent dans la cabalette de sa sortita, il investit son personnage constamment di forza, notamment dans l’allegro avec Adalgisa. Toujours viril, même dans la mort, il sait être poignant dans l’extrême abandon, en parfaite consonnance avec la supplique de Norma.

Une production itinérante

Oroveso au grave prodigieux, Viacheslav Strelkov est un chef des druides des plus honorables, malgré quelques soucis d’intonation à peine perceptibles. Aussi issus du chœur, Maria Cristina Imbrogno et Alberto Munafò, respectivement Clotilde et Flavio, sont des comprimari de bonne école. Relevons toutefois quelques petits problèmes de diction généralisés, principalement dans la prononciation des doubles consonnes, tantôt émoussées, quand elles existent, tantôt accentuées, lorsqu’elles n’existent pas.

En tout point irréprochable, le Coro Lirico Siciliano est à la fois juste et idiomatique. Constantin Rouits dirige avec compétence l’Orchestre de l’Opéra de Massy aux cuivres par moments légèrement envahissants.

Public enthousiaste au rideau final. La production ayant déjà été programmée à Clermont-Ferrand début avril, elle avait fait le tour de l’Espagne dans les semaines qui ont suivi. Nous lui souhaitons bonne chance pour les mois à venir.

Les artistes

Norma : Chrystelle di Marco

Pollione : Jean-François Marras

Adalgisa : Leonora Ilieva

Oroveso : Viacheslav Strelkov

Clotilde : Maria Cristina Imbrogno

Flavio : Alberto Munafò

Orchestre de l’Opéra de Massy

dir. Constantin Rouits

Coro Lirico Siciliano

dir. Francesco Costa

Mise en scène : Aquilès Machado

Décors et costumes : Alfredo Troisi

Le programme

Norma

Tragedia lirica en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créée au Teatro alla Scala de Milan le 26 décembre 1831.

Massy, Opéra, jeudi 25 avril 2024