Les Arts florissants à l’Opéra royal de Versailles : une Fairy Queen virevoltante et féerique.
Pour ce « Songe d’une nuit d’été » où se croisent humains, fées et esprits, comment retranscrire sur scène toute la fantaisie et la poésie de la musique de Purcell ? La mise en scène énergique de Mourad Merzouki va fusionner avec la direction impeccable de William Christie dans une brillante adaptation qui n’a de simple que les apparences.
La modernité de l’œuvre de Purcell réside dans cette incroyable capacité qu’a sa musique à être adaptable à toutes les fantaisies de mise en scène, de la plus classique et formaliste, à la plus moderne et décalée. Déjà en rupture avec son époque, Purcell a eu ce génie d’allier une musique très expressive à une grande virtuosité, renvoyant chaque metteur en scène à une infinité de possibilités : de fait, l’œuvre opératique du compositeur anglais peut se suffire à elle-même, et n’a donc pas forcément besoin d’une mise en scène particulière pour l’illustrer…
Le chant lyrique et la danse, dans l’idée, se complètent parfaitement : on ne compte pas en effet le nombre d’opéras à travers les siècles qui intègrent des passages de ballets – ou a contrario des spectacles de danse moderne qui utilisent la musique classique. Des très célèbres « Boléro » de Ravel chorégraphié par Béjart ou « Sacre du printemps » par Pina Bausch, en passant par « Le jardin Io Io Ito Ito » de José Montalvo et son break dance sur Vivaldi, jusqu’aux opéras où coexistent la mise en scène chantée et celle dansée, comme tout récemment encore le Cosi fan tutte chorégraphié par Anne Teresa de Keersmaeker – et repris en ce moment même au Palais Garnier -, ou la mise en scène lunaire de Romeo Castelluci à Salzbourg de Don Giovanni dans laquelle intervenaient des danseurs, traducteurs silencieux du livret de Da Ponte. Alors quid de cette production des Arts Florissants, s’arrêtant pour une soirée à l’Opéra Royal de Versailles ?
Lorsque William Christie arrive sur scène, sémillant en costume sombre et chaussettes rouges pétantes, le ton est donné. Respect du ton de l’histoire mais aussi rupture par contraste. Et finalement pourquoi pas ? Après tout, le baroque constitue l’écrin idéal pour la danse moderne : avec sa rythmique prononcée, des mélodies expressives et la richesse de ses motifs, un chorégraphe ne peut que trouver matière à animer ses danseurs et les imbriquer dans le récit de l’opéra. Sur cette scène sans décors hormis quelques bancs sur les côtés, le parti pris du chorégraphe Mourad Merzouki, consistant à rapprocher les plus possible chanteurs et danseurs, fonctionne d’autant plus que cela permet d’éviter une séparation entre les deux corps, séparation qui viendrait nuire à la mise en scène : on suivrait l’un, puis l’autre, mais jamais les deux ensemble… Au contraire, le chorégraphe décide ici de séparer le moins possible les interactions entre les deux : ainsi les chanteurs viennent exécuter de nombreux mouvements tandis que les danseurs interviennent quant à eux légèrement dans le chant. Ce qui est d’ailleurs d’une logique imparable : à l’exigence musicale répond celle de la danse, qui se veut multiforme : aussi bien urbaine que classique ; on assiste ainsi à quelques touches d’acrobatie, de culture ballroom, de voguing, de breakdance, de danse contemporaine, mais aussi à des piqués, des fouettés, des jetés. La troupe de la Compagnie Käfig se donne, avec bonne humeur et confiance, et surtout une infinie poésie dans les mouvements qui suivent la musique et les paroles. Ainsi quelques gestes pleins d’originalité suffisent à introduire l’arrivée des fées avec beaucoup de simplicité sur le magnifique duo de flûtes par exemple. Chaque danseur trouve l’espace nécessaire pour s’exprimer et briller à son tour, venant éblouir les spectateurs et rendre vivants des passages musicaux qui auraient pu paraître moins saillants sans leur intervention.
Côté voix, la représentation est l’occasion de découvrir les lauréats du 11e concours du Jardin des Voix. Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit d’une promotion pleine de promesses. Le baryton Hugo Herman-Wilson fait preuve dans ses premières scènes d’une voix dotée d’une assise large et homogène, son Hymen est puissant et théâtral, tandis que son compère Benjamin Schilperoort fait résonner une belle voix de basse profonde dans les beaux airs du sommeil « Hush », et de l’Hiver « Now winter comes slowly ».
Côté ténors, il est intéressant de constater que nous avons deux voix sensiblement différentes : ainsi Rodrigo Carreto fait montre de beaucoup de souplesse et d’agilité à défaut d’une grande épaisseur vocale : son Automne est plein d’une jolie sensibilité. Ilja Aksionov fait entendre quant à lui une voix aux accents juvéniles mais plus large, avec d’excellentes technique et diction. Sa voix fluide évoque aussi bien un prince perdu, à deux pas du Tamino de Mozart, que de Pamina elle-même lorsqu’il endosse le rôle de la jouvencelle Mopsa ! Le duo Corydon/Mopsa est particulièrement truculent et Ilja Aksionov et Hugo Herman-Wilson incarnent avec beaucoup d’humour le badinage amoureux des deux personnages.
Pour les femmes, de belles surprises également : Georgia Burashko se démarque avec une voix très ronde, de belle projection et pleine d’expressivité – surtout dans le très beau rendu de « Spirits of the air… appear… appear ». Rebecca Leggett fait une Juno idéale avec un « Thrice happy lovers » où la jeune mezzo laisse deviner une large étendue vocale, avec des aigus généreux et agiles. Juliette Mey brille particulièrement sur le fameux duo voix-violon « O, let me weep » où la soprano, avec une excellente maîtrise du souffle, vient donner juste ce qu’il faut d’expressivité pour mettre en avant le texte et insuffler tout le pathos nécessaire à cet air de désespoir, sans excès ni dérives. Paulina Francisco n’est pas en reste : elle fait entendre une voix plus légère mais au beau timbre très distinctif.
La vraie réussite de la soirée vient dans la cohabitation de tous ces jeunes talents, leurs voix se fondant parfaitement ensemble dans les grands airs aussi bien que les duos, notamment, entre autres exemples, dans l’invocation d’Hymen, ou les airs des Saisons enchaînant solistes et chœurs.
Si la distribution se montre à la hauteur d’une partition très exigeante, l’orchestre parvient sans faille à accompagner les jeunes chanteurs, et arrive à apporter un éclat sans apprêts, propre à l’œuvre de Purcell, tandis que la direction des Arts Florissant reste aussi vive et raffinée que William Christie lui-même !
Repris plusieurs fois au grand bonheur de l’assistance, l’air final au nom approprié « They shall be as happy » constitue la conclusion idéale de ce spectacle : heureux, le public l’est, à n’en pas douter !
Les Lauréats du 11e Jardin des Voix
Paulina Francisco, Soprano
Georgia Burashko, Mezzo-soprano
Rebecca Leggett, Mezzo-soprano
Juliette Mey, Mezzo-soprano
Ilja Aksionov, Ténor
Rodrigo Carreto, Ténor
Hugo Herman-Wilson, Baryton
Benjamin Schilperoort, Baryton-basse
Les Arts Florissants, dir. William Christie
Baptiste Coppin, Samuel Florimond, Anahi Passi, Alary-Youra Ravin, Daniel Saad et Timothée Zig Danseurs de la Compagnie Käfig
Chorégraphie, mise en espace : Mourad Merzouki
Assistant à la chorégraphie : Rémi Autechaud
Costumes : Claire Schirck
Création lumières : Fabrice Sarcy
Conseillère linguistique : Sophie Daneman
The Fairy Queen (La Reine des fées)
Semi-opéra de Henry Purcell, livret adapté du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, créé le 2 mai 1692 au Dorset Garden Theatre de Londres.
Opéra royal de Versailles, représentation du jeudi 27 juin 2024.