Opéra de Marseille : evviva NORMA !

Première de fête à Marseille avec cette production de Norma qui nous vient de Toulouse, où elle fut donnée quatre ans plus tôt. Karine Deshayes qui nous avait ébloui dans le rôle d’Adalgise reprend ici le rôle ô combien écrasant de Norma.

La somptueuse mise en scène est sobre et simple. Elle est signée Anne Delbée, qui a réalisé des dizaines de mises en scène au théâtre, notamment à la Comédie française, sans parler du Centre dramatique de Nacy créé pour elle. Une immense  dalle centrale posée sur un plateau nu se lèvera à la fin de l’opéra à la verticale pour symboliser le bûcher et permet aux chanteurs d’évoluer tantôt dessus , tantôt autour en toute liberté. De chaque côté, des tentures blanches toutes simples évoquant la forêt par des branchages stylisés qui seront remplacés par de gigantesques panneaux métalliques permettant de sublimer les magnifiques jeux  de lumière du chef éclairagiste Vinicio Cheli. Les costumes sont dépouillés et intemporels. Norma est souvent en noir ou blanc, Adalgise en rouge ou blanc. Voilà une mise en scène sans effets de manche, sans discours grandiloquents donnant, aux chanteurs toute leur place.

Et de côté-là , nous sommes comblés : le plateau vocal est éblouissant.

Pollione est chanté par Enea Scala au nom prédestiné (même si, sauf erreur, il ne s’est encore jamais produit dans le temple milanais !), ténor belcantiste italien, issu du conservatoire de Bologne. Spécialisé dans l’opéra français et italien, il se produit régulièrement en France : Le Barbier à Rouen, Ermione à Lyon et à Paris, La dona del lago et Guillaume Tell à Marseille… Le voilà revenu à l’Opéra de Marseille pour Norma où il comble toutes nos attentes. Doté d’une puissance vocale phénoménale, l’air de l’acte 1 « Meco all’altar di Venere » est abordé avec une aisance déconcertante à la fois dans le jeu de scène, la justesse dans le phrasé, la projection de la voix déclenchant à la fin de l’air un tonnerre d’applaudissements. Tout aussi remarquable, son duo avec Adalgise « Vieni in  Roma ». Son trio final de l’acte 1 avec Adalgise et Norma « Oh di qual sei tu vittima » est un merveilleux moment d’équilibre entre voix et orchestre.

Norma est donc chantée par Karine Deshayes, qui a abordé le rôle en concert à Aix en juillet 2022 avant de le reprendre en version scénique à l’Opéra du Rhin la saison dernière. Elle délivre ici une superbe leçon de chant, et ce dès le célèbre « Casta diva », abordé pianissimo, tout en retenue, avant de monter progressivement en puissance… La scène 1 de l’acte II, « Dormono entrambi », où elle est tentée par l’infanticide, est d’une douceur et d’un pathos remarquables ; l’émotion est d’autant plus grande que sont projetées des images des deux enfants dans la nature – plutôt que de les planter à l’avant-scène  comme on le fait trop souvent de façon un peu simpliste. Suit ensuite le duo avec Adalgise où les deux chanteuses font montre de toute la maîtrise de leur art,  notamment dans un superbe « Si fino all’ore estreme ». Jusqu’aux dernières notes de l’opéra et le « Deh ! non volerli vittime » qui conclut l’œuvre, elle assure avec brio un des rôles les plus écrasants parmi ceux du répertoire de Bellini. Triomphe plus que mérité au rideau final. Karine Deshayes reprendra ce rôle dans la même mise en scène à Toulouse au printemps 2025, et en attendant, nous pourrons la retrouver en… Adalgise, dans la nouvelle intégrale de studio (avec Marina Rebeka) dont le compte rendu paraîtra sur Première Loge le 7 octobre, date de la sortie officielle de l’album.

Pour donner la réplique à Karine Deshayes :

Adalgise est chantée par Salome Jicia, soprano originaire de Géorgie. On l’entend  malheureusement trop peu en France, mais on pourra l’applaudir en mars 2025 dans Guillaume Tell à Liège, où elle a déjà proposé des interprétations remarquées de la Desdémone de Rossini et de Giselda (I Lombardi). La voix est indéniablement belle et puissante même si on la sent par moments un peu sur la réserve. Mais de très beaux moments, tels les duos avec Norma, font merveille !

Oroveso le grand prêtre est incarné par la gigantesque basse belge Patrick Bolleire (plus de deux mètres !), superbe Frère Laurent dans le Roméo et Juliette de l’Opéra Comique en 2021. Même si la voix est un rien métallique et hésitante au tout début de l’œuvre, il assure avec noblesse à l’acte 2 le « Guerrieri ! a voi venire ».

Enfin, l’orchestre est dans un dispositif inhabituel. Les harpes placées dans une des avant-scènes et surtout une partie des percussions dans la deuxième avant-scène en face donnent par moments une impression de déséquilibre. Mais dans la fosse tous les pupitres sont excellents sous la baguette magistrale du chef Michel Spotti. On se souviendra longtemps de la précision cristalline de l’ouverture. Un bravo aussi aux chœurs, même si par moments un peu trop rapides…

Au final, une soirée remarquable, comme on aimerait en voir plus souvent en France, chaleureusement saluée par un public enthousiaste !

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Lisez sur Première Loge Opéra nos interviews de Karine Deshayes, Enea Scala et Michele Spotti !

Les artistes

Norma : Karine Deshayes
Adalgisa : Salomé Jicia
Clotilda : Laurence Janot
Pollione : Enea Scala
Oroveso : Patrick Bolleire
Flavio : Marc Larcher
Grand cerf : Valentin Fruitier

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille, dir. Michele Spotti
Mise en scène : Anne Delbée
Collaboratrice artistique : Émilie Delbée
Décors : Abel Orain
Sculpteurs : Vincent Lievore et Augustin Frison-Roche
Costumes : Mine Vergez
Lumières : Vinicio Cheli
Réalisation lumières : Jacopo Pantani

Le programme

Norma

Opéra en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, d’après la tragédie d’Alexandre Soulet Norma ou l’Infanticide, créé à la Scala de Milan le 26 décembre 1831.
Opéra de Marseille, représentation du jeudi 26 septembre 2024.
Production de l’Opéra national du Capitole de Toulouse