Henry Purcell, Didon et Énée, Opéra de Versailles, vendredi 18 octobre 2024
Qu’importe que la réalisation musicale intègre tant de morceaux ajoutés, hornpipes, ground ou chaconne jouée alla Arpegiatta , allongeant le spectacle d’une petite demi-heure, au risque de briser le cours de l’histoire par trop d’intermèdes dansés ou acrobatiques. Après tout, il y a deux façons de considérer la Didon de Purcell : comme un opéra tragique, avec épisodes comiques shakespeariens, ou comme pur divertissement, un mask voyant se succéder des ambiances théâtrales diverses pour le plus grand plaisir des spectateurs, comme dans les théâtres londoniens de l’époque .
Tragédie ou divertissement ?
L’équipe convoquée pour cette production a clairement choisi la seconde optique. D’où cette multiplication d’ajouts instrumentaux au cours desquels le chef, comme toujours d’une débordante énergie, empoigne son violon et donne une cadence le plus souvent effrénée. D’où cette mise en scène qui s’amuse et nous amuse : une ironie très british sous-tend une vision où l’on en vient presque à relativiser les malheurs de la Reine de Carthage, relégués au second plan.
Au total, ce fut une soirée divertissante qui a plu, beaucoup, à en juger par l’enthousiasme du public aux saluts. Dans cette reprise d’un spectacle donné à Rouen il y a une dizaine d’années et début octobre en version concert à Toulouse (avant de s’envoler pour l’Espagne les 24 et 26 octobre), la féérie est partout, jouant avec les artifices du théâtre, parfois de façon un peu kitch (certaines poses, les costumes, les paillettes argentées…) mais efficace dans cette façon de convoquer les artifices actualisés d’un théâtre ancien. Si la chorégraphie déçoit par sa platitude, les apparitions des sorcières araignées étonnent par l’originalité et l’incroyable plasticité des acrobates, lesquels multiplient les apparitions tout au long de la soirée, y compris dans les airs.
Il y a clairement un vent de folie qui parcourt le spectacle, à commencer par la direction de Stefan Plawniak qui n’a d’égale, dans la discographie, que la version livrée en 2008 par Teodor Currentzis. L’Orchestre de l’Opéra Royal et le Chœur répondent avec fougue à la gestique impérieuse du chef. L’instrumentarium est large, avec guitare, harpe, deux clavecins parmi la vingtaine d’instrumentistes. Mention spéciale pour les attaques des cordes et leur vivacité, pour les flûtes et hautbois, ainsi que la harpe de Flora Papadopoulos et la viole de Hyérine Lassale, sans parler des percussions de Dominique Lacomblez qui déchaîna une tempête mémorable.
© Marc Dumont
Une distribution en demi-teinte
Confier le rôle de Didon à une soprano lyrique n’est pas une nouveauté, de l’inoubliable Janet Baker à une Jessye Norman hors cadre ou la touchante Susan Graham. A Versailles, c’est donc Sonya Yoncheva.
Jules César de Haendel, Erwartung de Schönberg, Madame Butterfly de Puccini et Didon de Purcell : voilà quatre moments phares dans la saison 2024-2025 de la soprano. D’emblée, à Versailles, elle surprend. La voix est belle, superbe, suave. Mais le vibrato est en total contraste avec le jeu historiquement informé de l’orchestre. Et surtout, son interprétation semble rester à l’extérieur du personnage tourmenté et tragique. Il y manque cette profondeur, ces abysses qui font de la mort de Didon un moment inoubliable à chaque écoute. Là, Yoncheva procure le beau chant d’une très grande professionnelle de la scène, pourtant comme en retrait dans l’incarnation, laissant à distance l’émotion, trop occupée à son jeu de scène consistant à délasser ce qui lui servait de robe, avant de disparaitre sous des flots en tissu. Alors, notre regard est plus attiré par ses efforts que notre ouïe par sa voix pourtant suave.
En contraste, la voix acidulée de Belinda (Sarah Charles), ne convainc pas dans des aigus difficiles, ni celle d’Énée à qui Halidou Nombre prête une prononciation aléatoire et engorgée, un timbre manquant d’harmoniques et de style. De fait, il faut attendre l’intervention de l’inénarrable sorcière-pieuvre du ténor Attila Varga-Tóth pour être convaincu : oui, le spectacle est bien chanté en anglais ; oui, il y a là adéquation entre le chanteur, son rôle et son incarnation. Simple marin lors de la Didon et Énée donnée il y a quelques mois à Versailles également, sous la direction de Stéphane Fuget, le voici en sorcière. Gageons que nous le retrouverons bientôt dans d’autres emplois à la mesure d’un talent qui s’affirme.
© Marc Dumont
Didon : Sonya Yoncheva
Belinda : Sarah Charles*
Énée : Halidou Nombre*
La sorcière et un marin : Attila Varga-Tóth*
Sorcières : Pauline Gaillard* et Yara Kasti
Un esprit : Arnaud Gluck
*Membres de l’Académie de l’Opéra Royal
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Versailles, dir. Stefan Plewniak
Mise en scène, costumes, chorégraphie, scénographie et lumières : Cécile Roussat et Julien Lubek
Didon et Énée
Opéra en trois actes de Henry Purcell, livret de Nahum Tate, créé à Londres (Chelsea) en 1689.
Opéra Royal de Versailles, représentation du vendredi 18 octobre 2024.