Du deuil à la reconstruction, le chemin de croix mis en musique par George Benjamin, sur un livret de Martin Crimp, propose une lueur d’espoir dans cette errance à travers un monde angoissé digne du purgatoire. Avec un conte et une mise en scène minimaliste non dénuée de poésie et sur une musique torturée et non moins émouvante, le deuil s’impose comme pivot de la recherche d’un bonheur nouveau.
Quatrième collaboration entre les deux hommes, après Into the little hill en 2006, Written on the skin en 2012, et Lessons in love and violence en 2018, le nouvel opus de George Benjamin et Martin Crimp Picture a day like this, revient à une idée qu’on trouve déjà dans Into the little hill : un conte folklorique comme allégorie d’une expérience très humaine, ici non plus la vengeance mais le deuil. Librement inspiré par le conte populaire La chemise de l’homme heureux, le propos revêt l’apparence d’une histoire pour enfants pour mieux surprendre le spectateur et le toucher à travers un sentiment universel : le chagrin éprouvé suite à la perte d’un être cher. Reprise d’une création pour le Festival d’Aix-en-Provence, à laquelle s’est associé l’Opéra Comique, la mise en scène de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma se veut simple, du moins en apparence, pour mieux mettre l’accent sur le propos de l’histoire et sur ses protagonistes, donnant de la lumière sur le fond aussi bien que sur la forme. Ainsi les protagonistes errent devant ces miroirs dont les reflets constituent autant de couloirs vides où se succèdent tableaux et personnages, dont le bonheur apparent n’est que façade, les condamnant à hanter lesdits couloirs.
D’une durée plutôt courte (à peine 1h15), la succession des différents tableaux jusqu’à un climax féérique se révèle d’une efficacité redoutable. Suite à la mort de son enfant, une jeune femme part à la recherche d’une personne parfaitement heureuse, dont elle devra recueillir un bouton de manche avant la nuit pour ramener à la vie l’enfant. S’ensuit devant des miroirs réfléchissants et créant une impression labyrinthique une suite de tableaux, tous participant à une rencontre avec un possible espoir.
Il faut d’ailleurs saluer la qualité du livret de Martin Crimp, alliant un sens dramatique sûr, avec une entrée au fort impact (« À peine mon enfant avait-il commencé à faire des phrases complètes, qu’il est mort »), émaillé de reflets poétiques (« Les tiges mortes des fleurs reprennent vie… alors pourquoi pas mon fils ? » ou « Dites que j’invente toutes les nuances de la lumière »). Le comique quant à lui survient parfois lorsque l’émotion est confrontée au grotesque du réel.
Marianne Crebassa en mère épleurée, au souffle semblant inépuisable, parvient à transmettre toute la tristesse et le désespoir emportant le personnage principal à travers une quête peut-être impossible. Sa voix expressive au timbre profond laisse parfois résonner des cris déchirants, et des inflexions qui ne sont pas sans rappeler Janet Baker dans la qualité vocale d’interprétation d’un rôle dramatique, à la dignité blessée.
Sur sa route vers le renouveau, elle croise deux amants, dont la passion dissimule blessures et trahisons. Le couple porté par la soprano Beate Mordal et le contre-ténor Cameron Shahbazi, fait montre d’une diction impeccable et d’une belle alchimie vocale et scénique. On retiendra sans doute plus leur seconde apparition, en tant que compositrice mondialement renommée et son assistant. Duo plus comique, un rien grotesque, faisant la part belle à la soprano, dont la voix claire se teinte facilement d’anxiété lorsque le personnage principal cherche à lui faire admettre qu’elle est heureuse. Dans son rôle d’artisan de boutons suicidaire, puis de collectionneur dandy au costume digne d’un film des années 40, le baryton John Brancy brille par un timbre très expressif et une belle ampleur vocale : du désespoir de sa première apparition à la séduction qu’il incarne dans son rôle de collectionneur d’art, jamais comblé malgré la beauté qui l’entoure.
L’orchestre philarmonique de Radio France se montre à l’écoute du compositeur, qui manie ici la baguette et parvient, sans prendre le pas sur les chanteurs, à instaurer une atmosphère tour à tour lugubre, angoissée, puis féérique avec l’apparition du double de l’héroïne : Zabelle, chantée par Anna Prohaska derrière un montage vidéo signé Hicham Berrada, où dans un jardin irréel à la luminosité fantomatique, la mère va enfin trouver un espoir de renouveau, de renaissance et peut-être de résurrection. Le duo Anna Prohaska-Marianne Crébassa, constitue le sommet dramatique de cette œuvre sensible grâce à l’implication et au talent de ces deux chanteuses, qui vont clôturer l’opéra sur la belle image de Marianne Crebassa découvrant le bouton tant désiré au creux de sa main, dans un dernier rayon de lumière projeté sur la scène.
Si depuis les textes jusqu’à la mise en scène, tout témoigne dans ce spectacle d’une nécessité de rester accessible à tous, la musique sera certainement l’élément le plus clivant de cette production. Certes accessible et collant aux sentiments émanant du livret, elle reste toutefois exigeante – et pourra déconcerter un public attendant une ligne mélodie livrée tout entière à son oreille. Les plus aventureux iront néanmoins tendre cette même oreille pour chercher derrière une partition angoissée et angoissante les beaux moments d’harmonie et d’espérance, cachés à première vue, mais bien présents dans cette œuvre poétique et audacieuse.
Woman: Marianne Crebassa
Zabelle: Anna Prohaska
Lover 1 / Composer: Beate Mordal
Lover 2 / Composer’s assistant: Cameron Shahbazi
Artisan / collector: John Brancy
Orchestre Philharmonique de Radio France, dir. Sir George Benjamin
Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumières : Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma
Costumes : Marie La Rocca
Vidéo : Hicham Berrada
Picture a day like this
Opéra en un acte de George Benjamin, livret de Martin Crimp, créé au Festival d’Aix-en-Provence le 5 juillet 2023.
Paris, Opéra Comique, représentation du vendredi 25 octobre 2024.