De prime abord, difficile d’imaginer que la musique sacrée puisse constituer un terreau fertile à l’amusement ou à la fantaisie. Mais c’était sans compter sur Jean-Christophe Spinosi, bien décidé à secouer un public pas toujours enclin à sortir des sentiers battus, surtout sur un programme intitulé « Glory to God » (Gloire à Dieu).
© Jean-Baptiste Millot
Il tape du pied en rythme avec la musique, il trépigne, élargit les bras comme pour étreindre les musiciens, il saute à pied joint en marquant le rythme. Ce n’est pas une rock star, mais c’est tout comme. Le charismatique chef d’orchestre « blagueur » comme on entend dans le public, Jean-Christophe Spinosi, avait promis des surprises dans son programme de la soirée. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les promesses furent tenues !
Dans la musique sacrée, plus que dans des opéras, la fusion orchestre-chœur constitue la clef de voûte de l’exécution de l’œuvre, les partitions des deux étant souvent difficilement dissociables car superposant leurs lignes musicales au même moment, dans une dualité quasi parfaite. Si cette fusion ne s’opère pas, le charme est définitivement rompu. Ici, aucun retard des musiciens, aucun souffle mal placé de la part de choristes, aucune erreur liée à un défaut d’attention : l’exécution se fait au cordeau devant un public conquis par la générosité des artistes. L’orchestre de l’Ensemble Matheus est attentif, les chœurs de l’Ensemble vocal Mélismes précis.
Constituée un peu comme un « best of » de diverses messes de Noël, la soirée commence avec le Dixit Dominus de Baldassare Galuppi. Enthousiaste, ce premier mouvement réjouissant introduit parfaitement l’œuvre du même nom écrite par Haendel. Dans ces deux « Paroles de l’Eternel », l’ensemble Matheus répond avec énergie et attention à la baguette du chef dont la précision, dans la direction des musiciens et du formidable Ensemble Vocal Mélismes, ne faiblira pas du début à la fin. Cette messe catholique, écrite par Haendel, protestant allemand pour les vêpres d’une fête religieuse romaine, établit des alternances surprenantes entre des passages énergiques et d’autres plus lents et proches du style opératique, dans la manière qu’ils ont de mettre en valeur les chanteurs solistes.
L’extrait de l’Oratorio de Noël de Bach « Flöβt, mein Helland… » devient un morceau participatif où Spinosi, le violon en main descend parmi les spectateurs pour les faire chanter en léger écho à la partie de la soprano, joliment assurée par Nina Maestracci, voix toute en souplesse et légèreté, dialoguant avec le flûtiste. Le chœur enchaîne avec un Glory to God à la fois enjoué et imposant. La juvénilité du chœur n’est pas pour rien dans le rayonnement du son, rendu très homogène et conférant tout sa gloire au morceau.
Le Gloria de Vivaldi est quant à lui entonné avec de nouveau un grand souci de précision et une mise en valeur de chaque pupitre dans une fusion avec l’orchestre et dont on retiendra le « Cum sancto spiritu » éclatant.
Les morceaux sont entrecoupés d’interventions du chef d’orchestre, celui-ci venant rappeler au public que derrière le propos religieux de ces œuvres, c’est essentiellement la célébration des fêtes et de l’année s’achevant dont il est question, rappelant ainsi que pour que la musique sacrée perdure, celle-ci doit dépasser le contexte religieux dans lequel elle s’inscrit historiquement, pour mieux traverser les âges et toucher un public qui ne demande peut-être qu’à la découvrir.
Malena Ernmann dans le « virgam virtutis tuae » fait jaillir des aigus un peu abrupts, qu’elle fait suivre de graves agiles et frémissants, la versatilité de la chanteuse faisant des merveilles dans la suite du programme, avec son improvisation jazzy sur « Douce Nuit, sainte nuit » et son gospel endiablé au sein du chœur pour l’Hallelujah final. Tandis que Nina Maestracci, soprano au fil de voix très pur et au souffle long parvient à rendre toute la solennité des parties lui incombant, sa voix s’accordant harmonieusement avec celle de Marlène Assayag – notamment dans le « Laudamus te » du Gloria -, soprano à la voix légèrement plus ronde et incarnée que celle de sa consœur. Les deux voix forment une combinaison vocale légère et tout à fait complémentaire sur leurs airs, avec des timbres doucement acidulés et un beau contrôle du souffle. Côté hommes, Joseph Pernoo (dans une trop brève intervention) et Matthieu Toulouse viennent apporter leur talentueuse contribution au Dixit Dominus de Haendel, la basse faisant preuve de graves profonds d’une belle ampleur.
Après un rappel final du Gloria, des impros jazz et gospel sur « O douce nuit » et sur le « Hallelujah » de Haendel, le public a pu repartir sereinement, envahi par l’esprit des fêtes de Noël.
Nina Maestracci : soprano
Marlène Assayag : soprano
Malena Ernman : mezzo-soprano
Joseph Pernoo : ténor
Matthieu Toulouse : basse
Ensemble Matheus
Académie Haendel Hendrix
Ensemble Vocal Mélismes (direction : Gildas Pungier), dir. Jean-Christophe Spinosi
Glory to God
Galuppi Dixit Dominus (1er mouvement)
Haendel Dixit Dominus, HWV 232
Bach Oratorio de Noël, BWV 248 (Air « Flößt, mein Heiland, flößt dein Namen »)
Haendel Le Messie (Glory to God)
Vivaldi Gloria RV 589
Haendel Le Messie (Alleluia)
Théâtre des Champs-Elysées (Paris), concert du 18 décembre 2024.