Pour le dernier dimanche de l’Avent, Le Messie de G.-F. Haendel résonne sous les voûtes de Notre-Dame des Tables à Montpellier. Comme en 2022, avec la Messe en si de J.-S. Bach, l’ensemble Arianna, le chœur et les solistes portent ce défi avec l’allégresse que cette exaltante partition génère.
Une œuvre mosaïque
Mieux que Guillaume le Conquérant, le saxon Haendel a su conquérir l’Angleterre en y terminant sa carrière européenne. Parmi ses créations prolifiques, ses oratorios sacrés ont poussé le plus loin son acculturation londonienne lorsqu’il remplace les saisons théâtrales d’opéras (italiens) … par celles d’oratorios anglais. Après avoir expérimenté le genre oratorio avec Saul, puis Israel in Egypt, the Messiah apparaît comme une synthèse atypique du baroque, créé lors d’un concert pascal de charité à Dublin, puis repris à Londres. En compilant diverses sources de la Bible, le livret de Charles Jennens évoque davantage la foi chrétienne et le ministère du Christ que les épisodes de sa vie. Et ce, sans lui confier directement la parole (chant), contrairement aux Passions du Kantor de Leipzig. Au fil des siècles, l’œuvre est devenue la pierre angulaire des chœurs et des concerts de l’Avent.
Haendel adopte divers traits stylistiques (et divers recyclages de ses œuvres) pour les trois parties de son immense fresque. Cet effet, d’une mosaïque en train de se construire, marque l’interprétation de l’Ensemble Arianna sous la direction de Marie-Paule Nounou, sa fondatrice, ici au clavecin continuo. Comme en 2022, lors de la Messe en si de J.-S. Bach , la cohésion d’amateurs et de professionnels fonctionne pleinement. Sous les voûtes baroques de Notre-Dame des Tables, les récitatifs et airs de la partie augurale (les prophéties et la Nativité) s’enchaînent harmonieusement jusqu’à l’arrivée des bergers (Musette). L’originalité du recitativo accompagnato – « The were shepherds » (« Il y avait des bergers ») – préfigure l’acclamation du chœur (« Glory to God »). On pourrait souhaiter davantage d’articulations au sein d’un même numéro ainsi qu’une basse continue plus diversifiée, bien que fermement conduite par l’orgue positif.
En seconde partie, la Passion du Christ révèle la théâtralité haendélienne qui s’infiltre pour briser l’uniforme succession de récit /air soliste /chœur. La vigueur de rythmes pointés ou de trépidations aux cordes, l’audace de modulations et harmonies, les ruptures de mouvements (et de tonalités) sont encadrées par de puissantes fugues chorales. Parfois indécis sur le départ fugué, le chœur Ars vocalis, finalement victorieux du contrepoint, bénéficie du soutien des cordes et hautbois. La tension est graduée dans le jubilant « Halleluya ! » , chœur conclusif de cette partie. On apprécie les sobres paliers de nuance ménageant l’explosion au-dessus de la trame orchestrale, enrichie de trompettes naturelles et timbales.
Plus introspective, la troisième partie émeut l’auditoire, notamment l’épisode de la Résurrection et du Jugement dernier, médité par le collectif – « Since by man came death » (« Puisque la mort est venue par un homme ») – sur un chromatisme pathétique. La construction dramatique atteint ensuite son apogée en une guirlande de chœurs triomphants et swinguant : l’Amen résonne bien après la fin du concert.
Des solistes investis
Si cet engagement du collectif – orchestre et chœur – est tangible, celui des quatre solistes invités l’est tout autant. Familiers de la déclamation anglaise, ils partagent la virtuosité et la stylistique baroques, depuis l’expressivité des figuralismes jusqu’à la vaillance de l’aria da capo.
Les deux chanteuses sont particulièrement expérimentées. La soprano canadienne Heather Newhouse excelle par une technique sans faille et la clarté d’un timbre fruité, au service d’une musicalité raffinée. Celle-ci s’épanouit tant dans le registre joyeux et vocalisant (« Rejoice greatly ») que dans celui introspectif (« I know that my Redeemer liveth »). La contralto Anthea Pichanick émeut par la plénitude d’une voix enveloppante, souple et conduite avec homogénéité. Leur aisance à toutes deux s’exprime dans le beau duo alterné, « He shall feed His flock » (« Le berger fera paître son troupeau »). Exploitant la douceur de son ténor, Sébastien Monti initie la fresque avec le long récitatif « Comfort ye », expressivement déroulé. Le timbre coloré d’Olivier Dejean convient au registre véhément des airs qu’Haendel confie à la basse. Il densifie les articulations dans le dialogue concertant de l’air annonçant la Résurrection, « The trumpet shall sound » (« La trompette sonnera »). Ce duo avec le trompettiste solo, Olivier Mourault (diplômé de la Hochschule für Musik de Bâle), est une performance que le jeune instrumentiste assume avec délicatesse sur trompette naturelle.
Pour les fidèles, la musique confère au Messie son rôle de Christ rédempteur (livret d’après les Epitres de Paul). Pour l’auditoire, de longues acclamations saluent cette fête haendélienne tant la fresque musicale anime les peintures baroques de l’église montpelliéraine.
Heather Newhouse, soprano
Anthea Pichanick, alto
Sébastien Monti, ténor
Olivier Dejean, basse
Ensemble Ars Vocalis (chœur) et Ensemble Arianna (instrumental), Marie-Paule Nounou, direction et clavecin
Messiah HWV 56
Oratorio de G.-F. Haendel, livret Charles Jennens (issu des Evangiles et des Lettres de Paul), créé à Dublin le 13 avril 1742.
Église Notre-Dame des Tables (Montpellier), concert du samedi 21 décembre 2024.