Dans un monde troublé où la moindre notification d’information semble porteuse d’incertitude et de violence, deux solutions court-termistes peuvent être de couper son téléphone portable et de trouver refuge dans l’art. L’idéal peut aussi être d’unir les deux comme nous aurions pu le suggérer à certains spectateurs de la salle Gaveau ce soir… L’art peut être une source de lumière et d’élévation et Nadine Sierra incarne cette mission transcendantale avec une grâce et une générosité rares. Lorsqu’une voix comme la sienne s’élève, c’est une lueur dans l’obscurité, une bouffée d’air dans l’oppression du quotidien qui rappelle les beautés du monde.
À l’apparition sur scène de la soprano, on sent déjà que la soirée va être plus qu’un simple alignement d’airs bien ficelés. Nadine Sierra, c’est une tornade de musicalité et d’émotion, mais avec une élégance de ballerine et un naturel désarmant. Dès les premières notes, la voix subjugue, oscillant entre maîtrise vocale totale et sensibilité dramatique à fleur de peau. « Chi il bel sogno di Doretta » (La Rondine, Puccini) et « Depuis le jour » (Louise, Charpentier) offrent une voix en apesanteur et un souffle d’une longueur à faire pâlir le moindre nageur olympique. Pourtant quelque chose manque peut-être… Quelques nuances sûrement mais aussi un rapport au personnage plus incarné, viscéral même. Car si ces airs sont une belle mise en jambe, c’est dans les rôles qu’elle connaît sur le bout des vocalises que la magie opère à plein régime. L’expression se fait plus intense, le regard plus habité, l’interprétation gagne en relief et la magie opère. L’instinct du théâtre reprend alors ses droits : un regard habité, une posture affirmée, une expressivité à faire pâlir certains metteurs en scène en quête de naturel. Nadine Sierra ne chante pas un air, elle est. Juliette, Violetta, Lucia prennent vie (et mort) devant nous. La voix répond à la moindre intention de l’artiste. Nuances, vocalises, trilles, aigus, fermeté de l’émission, la panoplie technique est vaste et subjugue.
Summertime (Porgy and Bess, Gershwin) vous berce comme il faut et la générosité des bis (« I Could Have Danced All Night », « Bésame mucho » – avec le plus que talentueux contrebassiste Marc André -, « Vissi d’arte » et « O mio babbino caro ») montre l’étendu des talents de l’artiste et la variétés des espaces d’expression de la femme.
Lucia di Lammermoor, "Regnava nel silenzio" - NDR Radiophilharmonie (2021)
Une question brûle les lèvres : mais pourquoi donc abandonner Lucia ? Le rôle, qu’elle maîtrise à la perfection (même si on lui a connu suraigus plus détendus), semble toujours couler avec la même aisance dans sa voix. Comme elle le dira au public, elle préfère le laisser aux jeunes premières, consciente que son instrument évolue et qu’elle a d’autres héroïnes à conquérir et à approfondir. Un brin d’émotion, certes, mais aussi une lucidité admirable. L’échappée musicale vers Tosca augure-t-elle de l’évolution artistique de Nadine Sierra ? Ce Puccini est peut-être un peu prématuré pour le moment mais la soprano s’oriente assurément vers d’autres rôles et d’autres couleurs vocales. Ce qui est certain, c’est que Violetta (La Traviata, Verdi) restera longtemps, on l’espère, un terrain de jeux magnifique pour la soprano.
Pour l’accompagner dans ce festival de beautés et d’émotions, Adrien Perruchon, à la tête de L’orchestre Lamoureux est un partenaire idéal. Le chef virevolte et respire à l’unisson de la soprano et les pages orchestrales (Bizet, Verdi et Gershwin) mettent en valeur la qualité des différents pupitres de la phalange parisienne. Une fois les légères incertitudes du début de ce concert, rien ne manque à la réussite de ce concert lumineux.
Dans un monde où tout semble aller si mal, Nadine Sierra et les musiciens réunis autour d’elle nous rappelle que la beauté et l’émotion restent essentielles. Et cette conviction fait d’eux de véritables messagers de l’art.
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Nadine Sierra, soprano
Marc André, contrebasse
Orchestre Lamoureux, dir. Adien Perruchon
Djamileh, Ouverture – Georges Bizet
La Rondine, « Chi il bel sogno di Doretta » – Giacomo Puccini
Louise, « Depuis le jour » – Gustave Charpentier
Roméo et Juliette, « Je veux vivre » – Charles Gounod
La Traviata, Prélude de l’Acte 1- « E strano, sempre libera » – Giuseppe Verdi
Lullaby – George Gershwin
Porgy and Bess, « Summertime » – George Gershwin
Roméo et Juliette, « Dieu ! Quel frisson court dans mes veines », Charles Gounod
La Jolie fille de Perth, Prélude – Georges Bizet
Lucia di Lammermoor, « Il dolce suono, Spargi d’amaro pianto » – Gaetano Donizetti
Bis :
My fair Lady, « I Could Have Danced All Night » – Frederick Loewe
Bésame mucho
Tosca, « Vissi d’arte » – Giacomo Puccini
Gianni Schicchi, « O mio babbino caro » – Giacomo Puccini
Salle Gaveau, mardi 4 février, 20h30