I puritani, Opéra Bastille, 6 février 2025
Une distribution qui se hisse sur les hauteurs des précédentes représentations
Dans les yeux d’Elvira
Créée à l’automne 2013, reproposée en septembre-octobre 2019, la production des Puritani de l’Opéra national de Paris est suffisamment connue du public parisien pour que l’on ne s’y attarde pas outre mesure. Rappelons juste ce beau décor réduit à l’essentiel (Chantal Thomas), les angles et les arêtes d’un château, comme le rappelle Laurent Pelly dans le programme de salle, enfermant les acteurs dans une atmosphère cauchemardesque, afin de « raconter l’histoire à travers le regard d’Elvira », énième personnage féminin qui faillit être sacrifié. De même pour des costumes d’époque revisités, crayonnés par le metteur en scène lui-même. Et encore les jolies silhouettes noires de l’héroïne et de son oncle descendant l’escalier et parcourant la scène dans l’obscurité. Puis, cette tour-cage dorée où se démène la jeune fille atteinte de démence.
L’intérêt de cette reprise réside donc prioritairement dans la prestation de l’orchestre, du chœur et des chanteurs. La concurrence est rude, tant le souvenir des meilleurs interprètes est encore gravé dans la mémoire des spectateurs : Michele Mariotti et Riccardo Frizza, Maria Agresta et Elsa Dreisig, René Barbera, Dmitry Korchak, l’inoubliable Javier Camarena et Francesco Demuro, Michele Pertusi, Marius Kwiecien. La distribution de ce soir se hisse à son tour sur de telles hauteurs, malgré quelques petites réserves dues sans doute au trac de la première.
Le chef-d’œuvre de Bellini nous invite à des joutes de virtuosité
À son apparition, lors du duo avec Giorgio, l’Elvira de Lisette Oropesa semble être quelque peu en retrait, sinon trop légère pour le rôle. Elle se libère cependant dès la rencontre avec son bien-aimé, agrémentant l’issue de la cavatine du chevalier par le déploiement d’une ligne des plus angéliques. Son allegro au sein du finale I est un grand moment d’agilité qui marie à la perfection trilles et vocalises, la voix se faisant cristalline dès que point la déraison. Lors de la scène de folie, nous gagnons alors une autre planète : lunaire dès le récitatif, la colorature s’éclot sans réserve dans l’aria, aux multiples couleurs, la cabalette, d’abord sur le fil, s’épanouissant dans un crescendo impressionnant. Tout cela étant mené par une comédienne hors pair chez qui vit à tout moment la jeune fille, notamment dans la simulation de la folie, dans le tempo di mezzo. Le duo des retrouvailles, puis le finale heureux, tourne presque à la joute virtuose avec son partenaire, dans un unisson des affects que seconde la complicité des artistes, notamment grâce à une Elvira aérienne, presque suspendue, en apesanteur, scellant d’un aigu percutant la conclusion de l’ouvrage.
Ce n’est certes pas l’Arturo de Lawrence Bronwlee qui refuserait cette profusion de belcanto. Ayant défendu son héros depuis presque vingt ans sur bien des scènes, aux États-Unis comme en Europe, le ténor américain semble d’abord quelque peu dépassé par la tessiture. Signe que les mises en scène peuvent évoluer, on ne lui fait plus chanter les premières notes de sa sortita du fond de la scène. Et il y a sans doute une raison à cela. Un phrasé royal vient ainsi au secours d’un certain manque d’ampleur, ce diseur exemplaire se muant ensuite en orfèvre dans le récitatif du revenant, la plus grande passion nourrissant enfin la romanza de l’exilé.
Il Puritano
Cependant, le triomphateur de la soirée est sans conteste le Giorgio de Roberto Tagliavini. Dès son duo avec Elvira, il se distingue par un sens irréprochable de l’élocution, des accents caverneux venant consolider la conception d’un personnage tout d’une pièce. Impressionnant dans son air de l’acte II, son souci de la nuance insuffle une vérité poignante à une douleur qu’il extériorise magistralement dans son dialogue avec le chœur. Superlatif dans le duo avec son frère d’armes, il l’invite à une nouvelle confrontation vocale d’où ressort un soin ineffable du clair-obscur, le ton impérieux de la mise en garde, une bonne entente dans la conduite du conflit. Le public lui en sait gré et lui réserve une ovation on ne peut plus méritée au rideau final.
Dommage que son acolyte sonne souvent engorgé, voire approximatif, savonnant parfois les fins de phrase, malgré un bel aigu en clôture de scène. Baryton au timbre assez ingrat, Andrii Kymach sait pourtant parfaitement contrôler sa ligne et son souffle, comme notamment dans sa présentation, au tout début de l’œuvre.
Membre de la Troupe lyrique de l’Opéra, Maria Waremberg, Manase Latu et Vartan Gabrielian ne déméritent jamais, incarnant respectivement une Enrichetta altière mais pas toujours audible et manquant quelque peu d’éclat, un Bruno Roberton bien chantant et un Gualtiero Valton parfaitement idiomatique.
Le Chœur de la maison, auquel l’on impose une gestuelle convenue, sûrement au second degré, est toujours admirable, à la fois bien rythmé et recueilli dans l’introduction, sachant savamment gérer le sillabato pour accompagner la cavatine d’Arturo, puis le murmure de la désolation et le cri de pitié, en guise de commentaire au dérèglement de l’héroïne.
Faisant ses débuts à l’Opéra national de Paris et, si nos sources sont bonnes, dirigeant le titre bellinien pour la première fois, Corrado Rovaris imprime à l’orchestre des cadences alertes, non sans tomber par moments dans une certaine routine.
Le public ne saurait bouder son plaisir et applaudit chaleureusement.
Elvira : Lisette Oropesa
Lord Arturo Talbo : Lawrence Bronwlee
Sir Riccardo Forth : Andrii Kymach
Sir Giorgio : Roberto Tagliavini
Enrichetta di Francia : Maria Waremberg
Sir Bruno Roberton : Manase Latu
Lord Gualtiero Valton : Vartan Gabrielian
Orchestre et Chœurs (cheffe Ching-Lien Wu) de l’Opéra national de Paris, dir. Corrado Rovaris
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
I puritani
Opera seria en trois parties de Vincenzo Bellini, livret de Carlo Pepoli, créé au Théâtre Italien de Paris le 24 janvier 1835.
Paris, Opéra Bastille, jeudi 6 février 2025