Un programme entièrement consacré aux opéras de Puccini
Annoncé en début de saison comme un concert du cycle « Les Grandes Voix » réunissant Anna Netrebko et Yusif Eyvazov pour un programme d’airs d’opéras italiens, cet événement s’est finalement focalisé surtout sur la diva russo-autrichienne autour d’extraits de titres de Puccini, avec le concours, certes, du ténor azerbaijanais, auquel sont venus cependant s’ajouter la soprano Pumeza Matshikiza et le baryton Jérôme Boutiller. Et c’est sans conteste au triomphe d’Anna Netrebko que nous assistons ce soir, dont la présence ne s’impose pas que dans les airs solistes, accentuée, qui plus est, par un relais très judicieux de magnifiques robes, ponctuant chaque personnage, sauf Cio-Cio-San, à la fin, qui ne se départage pas de Tosca.
Le ton est donné dès la grande scène de Turandot, introduite par les quelques notes du Mandarino très en voix de Jérôme Boutiller. On commence par la fin. Le choix de démarrer par la princesse de glace n’est sans doute pas des plus prudents. Qu’à cela ne tienne… Si au commencement l’élocution n’est pas parfaitement limpide, la comédienne gagne vite en assurance et investit entièrement un rôle qu’elle joue autant qu’elle ne chante : la projection est impressionnante, l’aigu percutant. Un Calaf quelque peu engorgé lui donne la réplique. Le public est acquis d’avance. Ce sera la voix qui prime dans ce concert. L’agonie de Manon souffre à son tour d’une articulation pas toujours intelligible mais c’est le drame qui a aussitôt le dessus, soutenu notamment par un legato de grande école et par un art très savant de gérer les transitions, sachant parfaitement doser l’ampleur du volume, la fermeté de l’accent et des mormorando singulièrement nuancés. De même, la prière de Tosca se distingue par la maîtrise d’un souffle sans fin.
Même les duos semblent avoir été sélectionnés afin de mettre en valeur la primadonna. Ainsi des retrouvailles de l’acte II de Manon Lescaut où notre soprano vedette déploie une ligne sans failles, en net décalage avec un Des Grieux qui se réfugie par moments dans le parlando. L’opulence de l’accent et l’engagement scénique relèguent au second plan un partenaire quelque peu raide et plutôt distancié. Tandis qu’une meilleure entente transparaît de la nuit d’amour de Cio-Cio-San et de Pinkerton au cours de laquelle se confirment ce même contrôle du souffle et la longueur de la ligne.
Des qualités qui caractérisent également l’acte III de La Bohème – donné dans sa presque totalité –, tout en laissant davantage de place à l’expression des autres interprètes. C’est ainsi que s’établit un beau contraste avec le Marcello idiomatique de Jérôme Boutiller, qui se confronte par la suite à un Rodolfo pas toujours très subtil, dont la gêne vers le haut du registre est néanmoins consciencieusement gérée. Précédés des commentaires tout particulièrement sublimes de Mimì, en aparté, le duo des adieux est ensuite entrecoupé d’applaudissements. Vient compléter la Musetta pétulante à l’envie de Pumeza Matshikiza.
Liù au timbre cristallin, cette dernière semblait auparavant presque vouloir émuler l’ampleur de sa Turandot, malgré un phrasé parfois difficultueux et une attaque à la justesse vacillante. Le Calaf de Yusif Eyvazov privilégie le cri, bien que son aigu sonne voilé. L’air d’un Des Grieux tout d’une pièce et peu amoureux suscite d’ailleurs quelques protestations, probablement excessives, de la part du public. Appelée à la rescousse, la claque s’insurge avant le congé de Cavaradossi à la vie : tout aussi exagéré, retentit donc un « Sei grande », en italien, comme à chaque fois que le chanteur se produit à Paris. Plus à l’aise, son Mario présente cependant les mêmes soucis que les autres incarnations. Signalons enfin la rareté de l’aveu honteux du Frank bien chantant de Jérôme Boutiller, sobrement abordé.
La direction scrupuleuse de Michelangelo Mazza s’illustre notamment dans l’intermède de Manon Lescaut et dans le sabbat des Villi : si le cordes dialoguent harmonieusement avec les vents dans le premier, les cuivres se déchaînent dans un crescendo envoûtant dans le second, non sans une certaine lourdeur par moments.
En bis, les artistes se font visiblement plaisir : dans l’attente bienveillante de Calaf (« Nessun dorma »), Yusif Eyvazov pousse l’aigu comme de tradition. Mais c’est surtout une Anna Netrebko aux anges qui revient sur scène arborant la déferlante de bouquets qui l’avait submergée aux salutations finales : sa Lauretta (« O mio babbino caro ») tient alors la note ad libitum dans l’invocation à la pitié. Les spectateurs sont comblés ! À bientôt, Anna !!!
Anna Netrebko, soprano
Yusif Eyvazov, ténor
Pumeza Matshikiza, soprano
Jérôme Boutiller, baryton
Sofia Philarmonic Orchestra, dir. Michelangelo Mazza
Giacomo Puccini
Turandot
« In questa reggia » (Turandot) Anna Netrebko
« Tu che di gel sei cinta » (Liù) Pumeza Matshikiza
« Non piangere, Liù » (Calaf, Liù, Timur) Yusif Eyvazov, Pumeza Matshikiza, Jérôme Boutiller
Manon Lescaut
« Intermezzo »
« Donna non vidi mai » (Des Grieux) Yusif Eyvazov
« Sola, perduta, abbandonata » (Manon) Anna Netrebko
« Tu, tu, amore? Tu? » (Manon, Des Grieux) Anna Netrebko, Yusif Eyvazov
La Bohème
Acte III (Mimì, Marcello, Rodolfo, Musette) Anna Netrebko, Jérôme Boutiller, Yusif Eyvazov, Pumeza Matshikiza
Le Villi
« La tregenda »
Edgard
« Questo amor, vergogna mia » (Frank) Jérôme Boutiller
Tosca
« Vissi d‘arte » (Floria Tosca) Anna Netrebko
« E lucevan le stelle » (Mario Cavaradossi) Yusif Eyvazov
Madama Butterfly
« Vogliatemi bene… » (Cio-Cio-San, F.B. Pinkerton) Anna Netrebko, Yusif Eyvazov
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, jeudi 27 mars 2025