Jephta : Andrew Staples (tenor)
Daughter : Mary Bevan (soprano),
First elder of Gilead : Michael Mofidian (bass-baritone),
Second elder of Gilead : Jeremy Budd (tenor),
Jessica Cale (soprano)
Early Opera Company, dir. Christian Curnyn
Jephta
Oratorio de Maurice Greene, livret de John Hoadly, créé en 1737 à l’Apollo Room de la Taverne du Diable, Fleet Street (Londres).
2 CD Chaconne, avril 2025
Alors que les ensembles spécialisés explorent assidument les contemporains de Purcell et révèlent ainsi la naissance de l’opéra outre-Manche, on ne peut en dire autant de l’époque de Haendel. Au début du XVIIIe siècle, l’Angleterre était pourtant tout sauf un pays sans musique. C’est donc avec un vif intérêt que l’on accueille l’enregistrement que le label Chandos consacre à une œuvre de Maurice Greene (1696-1755), d’une dizaine d’années le cadet de Haendel. Par un hasard qui joue peut-être autant en sa faveur que contre lui, Greene a, comme son aîné teuton, mis en musique l’histoire biblique de Jephté, cet autre Idoménée qui, de retour de la guerre, sacrifia comme il l’avait promis le premier être vivant qu’il croisa : son fils pour le roi de Crète, sa fille pour le général hébreu. C’est en 1751, soit huit ans avant sa mort, que Haendel s’inspira d’un livret de Thomas Morell pour concevoir son ultime oratorio sacré. Maurice Greene se risqua bien plus rarement sur le terrain de l’opéra, et pratiquait surtout le genre religieux, comme organiste et en tant que Master of the King’s Musick depuis 1735. Sa Jephtha est bien antérieure à celle de son illustre rival, puisqu’elle fut créée en 1737. Et si la similitude de titre peut rendre le sujet familier au mélomane, il ne faut surtout pas chercher dans le livret de John Hoadly les qualités dramatiques que sut exploiter Haendel dans son œuvre. Greene a eu à travailler sur un texte bien plus abstrait, bien moins riche en émotions – bien moins théâtral, en un mot.
Greene réussit malgré tout à livrer une partition qui sait associer l’élégance et la sensibilité de son temps à l’austère majesté du récit biblique. S’il n’atteint pas exactement les mêmes sommets que Haendel à son meilleur, si sa musique est moins immédiatement frappante, il ne s’en montre pas moins capable de varier son discours, avec un ultime duo déchirant entre le père et la fille, alors même que celle-ci, animée d’une foi presque surhumaine, manifeste une volonté inébranlable de tenir la promesse faite à Dieu par son père. A la tête des forces sans reproche de son Early Opera Company, chœur et orchestre, Christian Curnyn – auquel on doit plusieurs enregistrements d’opéras haendéliens – sait mettre en valeur les beautés de l’œuvre de Greene. Au rôle-titre, le ténor Andrew Staples prête une voix agile mais non dépourvue de l’autorité qu’appelle le personnage. Basse aux graves pénétrants, Michael Mofidian intervient surtout dans la première partie de l’oratorio, avant que l’œuvre privilégie le dialogue entre le père et la fille. Le timbre de Mary Bevan paraît d’abord manquer de cette pureté que l’on attendrait pour l’interprète de la jeune victime, mais la musique de Greene exige bien davantage que de la candeur, et la soprano s’impose bientôt par l’expressivité de son chant.