Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore la mise en scène des Contes d’Hoffmann par Robert Carsen, voici une belle occasion de la découvrir. Devenu culte, ce spectacle déjà ancien (il fut créé il y a déjà 20 ans !) est l’un des plus aboutis du metteur en scène canadien – même si la clé de lecture, celle du théâtre dans le théâtre (Carsen prend appui sur l’allusion rapide à Don Giovanni au premier acte des Contes pour faire se dérouler toute l’action dans l’opéra où est représenté le chef-d’œuvre de Mozart), est pour le moins galvaudée et fonctionne plus ou moins bien selon les actes (celui d’Antonia est superbe, celui de Giulietta moins convaincant). Pour plus de détails, nous renvoyons à notre compte rendu de janvier dernier, et nous nous permettrons surtout de répéter que cette belle réussite ne doit pas empêcher d’autres théâtres parisiens (voire… l’Opéra de Paris lui-même !) de proposer d’autres lectures de l’œuvre, celle de Carsen n’étant ni exclusive d’autres visions, ni définitive. Signalons enfin que la très belle réalisation de François Roussillon permet de remarquer maints détails qui passent inaperçus dans l’immense vaisseau de la Bastille lorsqu’on n’est pas pourvu de jumelles (le maquillage fantomatique de la mère d’Antonia, la partition de Don Giovanni que répète l’orchestre au troisième acte,…)
Au fait, pourquoi une nouvelle captation de ce spectacle alors qu’un DVD existe déjà (TDK, avec Neil Shicoff) ? Tout simplement parce qu’en 2016, Jonas Kaufmann aurait dû faire ses débuts en Hoffmann (il est tombé malade peu avant la première), et Sabine Devieilhe aurait dû être son Olympia (elle attendait un heureux événement)… Ramón Vargas ne démérite pas dans le rôle-titre, écrasant s’il en est. Tout au plus lui reprochera-t-on un certain manque de nuances (« Ah, sa figure était charmante… », « Oui, Stella… Trois femmes dans la même femme… », « C’est elle, elle sommeille » sont singulièrement dénués de mystère) et une prononciation peu idiomatique, même si le français reste globalement compréhensible. Nadine Koutcher possède toutes les notes d’Olympia (et même un peu plus !), mais son timbre corsé est un peu surdimensionné pour le personnage, et semblerait, a priori, mieux convenir à certaines héroïnes belcantistes… Une voix et un talent à suivre cependant. Kate Aldrich est une Giulietta satisfaisante même si elle a peu à faire et à chanter, l’acte étant donné dans la version Choudens. Dommage qu’elle surjoue son rôle : cela pouvait peut-être passer dans la salle mais devient malheureusement caricatural à l’écran. Stéphanie d’Oustrac incarne superbement Nicklausse et la Muse (magnifique apothéose finale…), et se montre scéniquement aussi convaincante dans l’un et l’autre rôle. La quadruple incarnation de Roberto Tagliavini surprend : voilà un diable extrêmement jeune et chic, dans son physique, son jeu et son chant (le timbre est étonnamment clair pour le rôle) ! La « diabolisation » du personnage passe donc par l’insinuation, l’allusion, la variété subtile des couleurs plus que par des effets appuyés ou grandiloquents qui, au demeurant, n’appartiennent pas au langage esthétique de cet artiste raffiné. L’incarnation est finalement fort convaincante et très appréciée du public, le chanteur remportant par ailleurs la palme du français le plus compréhensible parmi les premiers rôles de l’ouvrage, avec… Ermonela Jaho, Antonia absolument bouleversante, dont la voix ne délivre vraiment tous les sortilèges que sur scène : les enregistrements soulignent en effet souvent une certaine maigreur ou acidité du timbre chez cette chanteuse, défauts qui ne s’entendent guère au théâtre – ou qu’on pardonne très aisément, emporté que l’on est par une implication toujours exceptionnelle. La ligne de chant est constamment soignée, les nuances merveilleuses (quelle belle « Chanson d’amour », malheureusement tronquée d’une strophe !), l’attention aux mots permanentes : voilà qui laisse magnifiquement augurer de la future Marguerite (programmée à Bastille en mars prochain) d’une artiste dont la Butterfly ou la Traviata ont, fait rarissime, provoqué récemment des standing ovations à Paris.
Soulignons enfin la qualité des seconds rôles (Yann Beuron en valet… quel luxe !) et de la direction de Philippe Jordan : si les choix musicaux retenus dans cette production sont assez incohérents et difficilement justifiables, la lecture du chef n’en procure pas moins de belles satisfactions. Tirant plus l’œuvre du côté de l’opéra que de l’opéra-comique (un choix qui se comprend dans cette version intégralement chantée et donnée dans un théâtre aussi vaste), Philippe Jordan préserve constamment la tension et la continuité dramatiques de l’œuvre, tout en ménageant de belles envolées poétiques…
Hoffmann Ramón Vargas
Olympia Nadine Koutcher
Antonia Ermonela Jaho
Giulietta Kate Aldrich
Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto Roberto Tagliavini
La Muse / Nicklausse Stéphanie d’Oustrac
Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio Yann Beuron
Luther / Crespel Paul Gay
La mère d’Antonia Doris Soffel
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, dir. Philippe Jordan
Mise en scène Robert Carsen
Les Contes d’Hoffmann
Opéra en 5 actes de Jacques Offenbach, livret de Jules Barbier d’après la pièce homonyme de Jules Barbier et Michel Carré (d’après Hoffmann), créé le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique.
Spectacle enregistré lors des représentations données à L’Opéra Bastille (Paris) en novembre 2016