Walter Braunfels : DIE VÖGEL, ou la « Götterdämmerung » d’un compositeur (à demi) juif…
Crédit photos : © Bayerische Staatsoper
Disponible en « vidéo à la demande » sur le site de la Bayerische Staatsoper
Streaming – Retour à Munich des OISEAUX de Walter Braunfels , cent presque jour pour jour après leur création
Les rares OISEAUX de Walter Braunfels reviennent à la Bayerische Staatsoper de Munich, dans une mise en scène plutôt décevante, mais bien servis musicalement.
Un opéra apprécié du Führer – qui ignorait les origines juives de son auteur !
Walter Braunfels est né à Francfort en 1882 d’Hélène Spohr, arrière-petite-fille du célèbre compositeur et chef d’orchestre allemand. Il grandit dans une famille d’intellectuels et abandonne ses études de droit et d’économie pour celles de musique après avoir assisté au Tristan de Wagner. En 1913, il commence la composition de son troisième opéra, Les Oiseaux, sur un livret qu’il écrit lui-même, mais la première n’a lieu qu’en 1920 – avec un grand succès. Hitler l’apprécia beaucoup : il ignorait que son compositeur était à moitié juif. En 1933, Braunfels fut contraint de s’exiler en Suisse après avoir perdu son poste de chef d’orchestre au Conservatoire de Cologne.
Après sa mort en 1954, son style néo-romantique, voire néo-wagnérien, n’était plus guère apprécié, et ce n’est que récemment que sa musique a été partiellement remise à l’honneur, notamment par l’enregistrement de l’œuvre dans la série Entartete Musik (Musique dégénérée) de Decca en 1995.
Un livret inspiré d’Aristophane
« Opéra lyrique fantastique » en un prologue et deux actes, Les Oiseaux s’inspirent librement de la pièce homonyme d’Aristophane : deux humains déçus par la vie sur Terre se rendent au royaume des oiseaux et les convainquent de construire leur cité entre la Terre et le Ciel, afin d’intercepter les offrandes des hommes aux dieux, vivant au-dessus d’eux, et d’assurer aux oiseaux la domination du monde. Mais les dieux punissent les oiseaux, qui se sont laissés corrompre par un humain au point de remettre en cause les valeurs éternelles, et détruisent la ville. Devant la puissance divine révélée par cette tempête, les oiseaux chantent un hymne solennel. Les deux amis reviennent sur Terre : l’un, identique à ce qu’il était jadis, dans le confort de son foyer, et l’autre, profondément changé, avec le souvenir du chant du rossignol.
Outre les deux terriens – Fidoamico déçu par l’art et Sperabene par l’amour –, les autres personnages principaux sont la Huppe, un ex-homme devenu roi des oiseaux, le Rossignol, lui aussi un ex-homme qui cache un lourd secret (il a tué son fils) et préfère l’idée de l’amour tel qu’il s’exprime au clair de lune au véritable amour. Dans l’œuvre de Braunfels, Prométhée n’est pas le traître de la fable d’Aristophane, mais l’exhortateur, celui qui met en garde les oiseaux contre la vengeance de Zeus – il en sait quelque chose…
Une exécution musicale de qualité
Presque cent ans jour pour jour après leur création, Les Oiseaux reviennent à Munich, où ils furent présentés pour la première fois le 20 novembre 1920. Ingo Metzmacher dirige l’orchestre du théâtre d’une main légère : les transparences de la partition sont admirablement rendues, tout comme les incises mélodiques pleines de nostalgie, typiques de la musique de Braunfels et proches de celle de Korngold pour leur cantabile poignant, de même que les évidentes références straussiennes.
Si le rossignol d’Aristophane n’avait qu’une rôle décoratif, chez Braunfels, il est le personnage central de la fable, en réponse à l’aspiration panthéiste et spirituelle de Sperabene. Le rôle, dans le répertoire lyrique du XXe siècle, rejoint cellui de Zerbinetta (Ariane à Naxos, Strauss) ou de la reine de Šemacha (Le Coq d’or, Rimskij-Korsakov) pour la difficulté et la tessiture aiguë. Caroline Wettergreen s’en sort avec brio ; qui plus est, elle fait preuve d’une présence scénique remarquable, ce qui ne gâte rien. Les deux humains trouvent en Charles Workman (le lyrique et rêveur Sperabene) et Michael Nagy (le cynique et indifférent Ratefreund) d’excellents interprètes, notamment Workman, très engagé dans le poignant monologue final. Un autre monologue remarquable – et qui souligne la dette de Braunfels envers Wagner – est celui de Prométhée, interprété par un Wolfgang Koch plein d’autorité. Günter Papendell (la huppe), Emily Pogorelc (le troglodyte) et Bálint Szabó (l’aigle) complètent efficacement la distribution.
Une mise en scène peu convaincante
Peu convaincante est la mise en scène de Frank Castorf, dans son indécison entre réalisme et conte de fées. Elle est, qui plus est, entachée de certaines fautes de goût. Le metteur en scène laisse les chanteurs livrés à eux-mêmes : ils se déplacent au hasard, ayant chacun un choix interprétatif différent. Dans l’horreur du vide typique de Castorf, on trouve un peu de tout, mais rien ne va vraiment : les vases tombent, les chapeaux ne restent pas à leur place, les costumes gênent les chanteurs. Au point qu’on peut se demander si le nombre de répétitions a été suffisant… La scénographie d’Aleksandar Denić est une réplique de celle utilisée pour De la maison des morts, dans le même théâtre il y a deux ans : une plateau tournant avec une structure praticable hérissée d’antennes, de répéteurs de télévision, d’un radar, d’écrans de télévision, d’affiches publicitaires (il y avait Pepsi, il y a maintenant Coca-Cola…) et le visage sournois d’Hitchcock, l’auteur des Oiseaux, film dont les images dramatiques contrastent avec cet hymne plein de ferveur à la construction de la ville.
Les références iconographiques des costumes d’Adriana Braga Peretzki sont nombreuses : uniformes d’officiers SS, costumes d’oiseaux à plumes, masques et déguisements : un moyen terme entre Halloween et le Carnaval de Rio. Les images vidéo en temps réel avec steadycam ne manquent pas (elle sont quasi devenues une obligation dans les mises en scène contemporaines), ainsi que la pluie finale.
Ce devait être la première d’une série de représentations… Toutes ont été annulées en novembre en raison de la pandémie de Covid-19. Le tournage dans ce théâtre vide a quelque chose de désolant et de surréaliste… Du moins le spectacle atteindra-t-il un public beaucoup plus large : pendant un mois, il sera disponible en vidéo à la demande sur le site web du théâtre.
Pour lire cet article en VO (italien)
Prometheus Wolfgang Koch
Wiedhopf, einstens ein Mensch, nun König der Vöge Günter Papendell
Nachtigall Caroline Zaunschlüpfer
Zaunschlüpfer Emily Pogorele
Hoffegut Charles Workman
Ratefreund Michael Nagy
Bayerisches Staatsorchester, Choeurs de la Bayerische Staatsoper, dir. Ingo Metzmacher
Mise en scène Franck Castorf
L’Affaire Makropoulos
Opéra en 3 actes de Leoš Janáček, livret du compositeur d’après Karel Čapek, créé à Brno en 1926
Grand Théâtre de Genève, représentation du lundi 26 octobre 2020, 20h00