Crédit photos : Valeria Isaeva
MADAMA BUTTERFLY à Athènes, ou quand l'Abraham Lincoln fait escale au Pirée
MADAME BUTTERFLY ouvre la saison 20/21 de l’Opéra d’Athènes, avec Ermonela Jaho. Le spectacle est disponible en streaming sur la nouvelle chaîne de télévision de l’Opéra national de Grèce.
Si elle est moins prégnante que dans d’autres pays européens, il existe bel et bien une tradition lyrique en Grèce, qui s’épanouit pour l’essentiel à l’Opéra National, autrefois installé au Théâtre Olympia d’Athènes (où chanta une Callas débutante), installé depuis peu dans un bâtiment flambant neuf au sud de la capitale, mais également ponctuellement dans d’autres villes, telles Thessalonique au nord du pays. Faut-il rappeler que la Grèce n’a pas donné naissance à la seule Maria Callas ? Agnès Baltsa, Dimitra Theodossiou, Tassis Christoyannis ou encore Christophoros Stamboglis, pour ne citer qu’eux, ont également fait leurs gammes en étant bercés par le ressac de la mer Égée, la brise du meltem et le bruissement des oliviers !
Quoi qu’il en soit, l’actuel opéra d’Athènes d’une part semble avoir trouvé son public, d’autre part souhaite de toute évidence acquérir une meilleure visibilité européenne, voire mondiale. En témoigne cette Butterfly par laquelle s’est ouverte la saison 20/21, qui a bénéficié de tous les soins : engagement d’un metteur en scène et de deux solistes internationalement reconnus, captation vidéo accessible sur la chaîne TV dont vient de se doter l’Opéra National… Avec au total un spectacle qui, sans révolutionner en rien le genre, témoigne du sérieux de l’entreprise.
Covid oblige, c’est une version orchestrale allégée qui a été choisie (celle d’Ettore Panizza). La réduction a été très habilement effectuée : les couleurs de l’orchestre puccinien sont préservées, les harmonies originales, parfois audacieuses du compositeur, également – et honnêtement, il faut vraiment prêter l’oreille et parfaitement connaître l’œuvre pour remarquer la différence d’avec l’original – si ce n’est peut-être dans certains tutii, ou également dans les sonorités un peu rêches des cordes (premières mesures de l’introduction), effet collatéral difficilement évitable de la réduction des effectifs. C’est aussi que le chef Lukas Karytinos dirige avec passion et fougue une œuvre que de toute évidence il affectionne, mettant en valeur les climax de la partition sans pour autant négliger les moments d’ineffable poésie qu’elle recèle.
Comme l’on pouvait s’y attendre, la mise en scène de Hugo de Ana ne se départit jamais d’une certaine tradition. À une ou deux exceptions près (tel le duo des fleurs, singulièrement dénué de poésie), elle est le plus souvent agréable à regarder (le début du second acte, ou un contrejour ne permet de distinguer que les silhouettes des personnages, dont celle de Butterfly occupée à confectionner un drapeau américain sur sa machine à coudre); mais elle se contente de mettre en images le livret de Giacosa et Illica, de façon plutôt sobre, même si aucune japonaiserie (kimono, feuilles d’érable, représentation de l’océan façon La Grande Vague de Kanagawa par Hokusai) ne manque à l’appel. Le premier acte est peut-être le moins réussi, sans doute parce que Hugo de Ana n’a pas demandé à Ermonela Jaho de ne pas se prêter aux habituelles minauderies auxquelles se livrent les interprètes du rôle-titre, pour signifier à la fois l’appartenance à la culture japonaise et le très jeune âge (15 ans !) de l’héroïne. Souvent peu crédibles pour un spectateur présent dans la salle, elles deviennent assez ridicules lorsqu’elles sont filmées en gros plan. C’est d’autant plus dommage qu’Ermonela Jaho est par ailleurs, on le sait, une très bonne actrice…
L’équipe de comprimarii réunie par l’Opéra national de Grèce est plus qu’honnête, avec notamment un bon Goro (Nicholas Stefanou) et une Kate Pinkerton (Violetta Lousta ) qui, par le biais de trois ou quatre répliques seulement, parvient à faire valoir un timbre chaud et une voix bien placée. Dionysios Sourbis est un Sharpless jeune, constamment digne et bien chantant. Chrysanthi Spitadi est une Suzuki un peu raide vocalement, mais extrêmement crédible : le visage fermé dès les premières mesures de l’œuvre (il ne s’éclairera que fugitivement à l’annonce de l’arrivée de l’Abraham Lincoln), la suivante de Cio Cio San semble deviner d’emblée que l’aventure du marin américain ne pourra s’achever que tragiquement…
Le Pïnkerton de Gianluca Terranova est, vocalement et physiquement, un peu fruste… ce qui finalement ne messied pas trop au personnage. Dommage que le ténor n’adoucisse pas davantage son timbre, de nature plutôt sombre et viril, pour les quelques pages dans lesquelles Pinkerton fait montre de tendresse (“Bimba dagli occhi pieni di malia”)…
L’art d’Ermonela Jaho est de ceux qui se laissent difficilement apprivoiser par les micros, lesquels amplifient certains défauts qu’on ne peut nier : une émission parfois trop haute, entraînant ici ou là une justesse approximative ; un registre grave qui semble émis par une autre voix ; une certaine acidité du timbre ; un expressionnisme qui pousse la chanteuse à frôler parfois le cri. On a pourtant dit et redit combien ces limites étaient transcendées par une implication de tous les instants, une attention aux couleurs et aux nuances exceptionnelle, un sens du tragique assez unique et absolument irrésistible. Doit-on rappeler que la chanteuse est l’une des rares à susciter des standing ovations lors de ses passages à l’Opéra de Paris ? Une artiste rare, dont l’art ne se révèle pleinement que sur scène. Les Athéniens ne s’y sont pas trompés, qui ont réservé un formidable accueil à sa Cio-Cio-San.
Cio-Cio-San: Ermonela Jaho
Suzuki Chrysanthi Spitadi
Kate Pinkerton Violetta Lousta
Pinkerton Gianluca Terranova
Sharpless Dionysios Sourbis
Goro Nicholas Stefanou
Prince Yamadori Marios Sarantidis
Bonzo Yanni Yannissis
Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Grèce, dir. Lukas Karytinos
Mise en scène Hugo de Ana
Madama Butterfly
Opéra en deux actes de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, créé le 17 février 1904 à la Scala de Milan.
Production de l’Opéra national de Grèce, octobre/novembre 2020.
Sous-titres disponibles en français
1 commentaire
A mi hösünk, a csodas hangu Tenor, Pinkerton Gianluca Terranova, Neki egy olyan magikus hangja van, hogy rögtön bele kell szeretni!!!! <3 Millio köszönet draga Maestro a Te Pinkertonodat soha nem fogjuk elfelejteni! Egyedülallo!!!