Une Veuve Joyeuse avignonnaise à savourer en streaming sur la chaîne YouTube de l'Opéra Grand Avignon le 31 décembre !
Une mise en scène vive et colorée, une interprétation musicale de qualité : dommage que le public n’ait pu apprécier cette Veuve Joyeuse à l’Opéra Confluence pour les fêtes de fin d’année… Vous pourrez heureusement vous rattraper en regardant le spectacle en streaming dès le 31 décembre !
Drôle d'ambiance à l'Opéra Confluence...
Drôle d’ambiance à l’Opéra Confluence Avignon en ce dimanche 27 décembre après-midi : tout avait été fait pour offrir au public un spectacle de fin d’année divertissant, avec le choix d’une œuvre indémodable et fort réjouissante, une mise en scène vive et colorée, une troupe de chanteurs jeunes et talentueux… Aussi, voir tous ces artistes se démener, chanter, danser, rire devant un parterre tout juste occupé par quelques journalistes avait-il quelque chose d’à la fois triste… et de revigorant. Triste parce que les bons mots, les situations cocasses dont la pièce est émaillée appellent les rires, désespérément absents ; parce que le finale du premier acte, les couplets consacrés aux femmes (« Depuis qu’Eve écoutant le serpent… »), le cancan endiablé qui clôt l’œuvre appellent les applaudissements – au lieu de quoi ils se sont heurtés, fatalement, à un silence glacial… Revigorant toutefois, parce que l’enthousiasme des artistes révèle une volonté de jouer et d’y croire quand même, et montre à quel point chacun se tient prêt à offrir de nouveau au public, dès que le coronavirus ne sera plus qu’un (très) mauvais souvenir, les images et la musique dont il est privé depuis de trop longs mois. Que les artistes et toutes les personnes qui ont rendu possible ce spectacle (capté et diffusé le 31 décembre sur la chaîne YouTube de l’Opéra d’Avignon) soient ici remerciés pour le travail accompli et le plaisir qu’ils apporteront aux internautes – un plaisir virtuel… en attendant que nous puissions retrouver l’émotion, l’électricité, la chaleur d’une salle comble !
C’est la version française de Flers et Caillavet qui a été retenue – les puristes s’en offusqueront peut-être, mais, outre le fait que maintes pages musicales sont passées à la postérité dans la langue de Molière (« Toujours par dévouement », « C’est la valse, écoutez », « Depuis qu’Ève écoutant le serpent », « Viens dans ce joli pavillon », et bien sûr « Heure exquise qui nous grise »), force est de constater que l’esprit de la pièce, son humour sont typiquement français (le livret n’est-il pas tiré d’une pièce d’Henri Meilhac, L’Attaché d’ambassade ?), et si trahison il y a, elle est évidemment bien moindre que dans Violetta d’après La Traviata, ou Die schöne Helena d’après La Belle Hélène !
Un spectacle vif et coloré, proposant plus qu'une simple mise en images de l'œuvre
Pour ce spectacle de fin d’année, qui se doit d’être grand public et divertissant, Fanny Gioria a écarté le principe d’une relecture austère et intellectualisante (une austérité à laquelle l’œuvre, dans une certaine mesure, peut pourtant se prêter : voir la lecture proposée par Jorge Lavelli pour l’Opéra de Paris), sans pour autant se contenter d’une simple mise en image littérale du livret : on assiste en fait à une répétition de l’opérette de Franz Lehár, avec tout ce qu’une répétition peut comporter d’imprévus et de ratés (trous de mémoires, incidents techniques, retard de tel artiste). Or le chanteur qui interprète Danilo a jadis connu la femme qui doit interpréter Missia Palmieri, une certaine Hanna Glawari (clin d’œil au nom de la Veuve dans le livret allemand original !) : ils ont même été autrefois plus ou moins amoureux l’un de l’autre, avant qu’un grand succès dans un film américain n’ait donné la grosse tête à Hanna, qui s’est alors détournée du jeune homme… On l’aura compris, l’opérette La Veuve Joyeuse se présente comme une mise en abyme de l’aventure amoureuse de ses interprètes, et les parcours sentimentaux des personnages de Lehár et des acteurs qui les incarnent finiront par se rejoindre dans une fort émouvante « Heure exquise », chantée en costumes de ville, dans les coulisses du théâtre, alors que la répétition s’est achevée…
À cette mise en scène sensible (fort heureusement, la lecture de Fanny Gioria ne prend jamais le pas sur l’œuvre elle-même), égayée par des costumes (signés Erick Plaza Cochet) tantôt élégants, tantôt délirants (ceux de la fête du deuxième acte !) répond une direction musicale fine, précise et enjouée, assurée par Benjamin Pionnier à la tête d’un orchestre possédant le clinquant nécessaire aux scènes de danse du deuxième acte comme à celles de cabaret du dernier acte, mais aussi le lyrisme et la sensibilité qui se font jour dans la partition, dans l’air de Camille, le célèbre « Vilya, ô Vilya », ou le duo entre Danilo et Missia Palmieri.
Une distribution pleine d'enthousiasme !
Reste la distribution : œuvre légère mais exigeante et ayant été servie par les plus grands gosiers (au hasard et entres autres : Schwarzkopf, Lott, Mattila, Duval, Gens, Fleming, Studer, Jansen, Skovhus, Waechter, Gedda !!), l’attente du mélomane est évidemment importante… La première qualité du plateau réuni par l’Opéra d’Avignon est sans aucun doute la jeunesse, l’enthousiasme, et la grande crédibilité de chacun des interprètes dans leurs rôles respectifs – tous montrant d’indéniables talents de comédiens. Guillaume Paire, Baptiste Joumier, Pierre-Emmanuel Roubet et Jean-François Baron sont plus vrais que nature en Baron Popoff, Figg, Lérida et D’Estillac.
Caroline Mutel et Samy Camps, le second couple d’amoureux de l’œuvre, sont fort convaincants : la première est une amusante Nadia, tiraillée entre son amour pour Camille et ses efforts pour ne pas céder à la tentation. La voix est bien projetée (sauf curieusement, au dernier acte, chez Maxim’s …) ; la diction, en revanche, pourrait parfois gagner ici ou là en clarté… Samy Camps semble s’amuser beaucoup en incarnant Camille ! La voix gagne en assurance au fil de la représentation, et le ténor délivre, au second acte, un « Viens dans ce joli pavillon » sensible et nuancé.
Erminie Blondel fait preuve d’un bel abattage scénique et rend habilement justice aux différentes facettes du personnage, à la fois distante, drôle, amoureuse… Vocalement, la chanteuse peut encore, nous semble-t-il, peaufiner son interprétation, avec un meilleur contrôle de l’émission (tantôt la puissance vocale est tout à fait correcte, tantôt elle est légèrement insuffisante) et un plus grand soin apporté à la ligne vocale : la chanson de Vilya manque un peu d’abandon, de glamour, et de nuances – dont la chanteuse est pourtant capable, comme en témoigne le bel aigu piano par lequel elle le conclut. Philippe-Nicolas Martin, enfin, est un excellent Danilo : tour à tour tendre, désabusé, cynique, amoureux, son incarnation est portée par un timbre chaleureux et une technique maîtrisée, lui autorisant un legato soyeux (« Rythme lent… ») et des effets de clair-obscur fort séduisants : on en vient à regretter de ne pouvoir l’entendre chanter, dans cette version française, les premières phrases de « Lippen schweigen »…
C’est donc un spectacle fort réussi qu’a proposé l’Opéra d’Avignon, à visionner sur vos écrans dès le 31 décembre prochain – et qui vous aidera, sans nul doute, à supporter l’absence de spectacles « vivants » en cette fin d’année où ils sont traditionnellement si appréciés.
Le voyage de Stéphane Lelièvre a été pris en charge par l’Opéra Grand Avignon
Missia Palmieri Erminie Blondel
Nadia Popoff Caroline Mutel
Prince Danilo Philippe-Nicolas Martin
Baron Popoff Guillaume Paire
Camille de Coutançon Samy Camps
Figg Baptiste Joumier
Lérida Pierre-Emmanuel Roubet
D’Estillac Jean-François Baron
Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur et Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Direction musicale Benjamin Pionnier
Mise en scène Fanny Gioria
La Veuve Joyeuse
Opérette en trois actes de Franz Lehár, livret de Victor Léon et Leo Stein, d’après L’Attaché d’ambassade, comédie d’Henri Meilhac ; adaptation française de Robert De Flers et Gaston De Caillavet.
Création à Vienne le 30 décembre 1905