Peter Grimes à Avignon : ouverture en grand !
Crédit photos : © Mickael et Cédric studio Delestrade, sauf indication contraire
Après quatre années de travaux, Avignon Grand Opéra ouvrait ses portes par la douce soirée du vendredi 15 octobre. Le credo affiché par le nouveau directeur, Frédéric Roels, « diversifier le répertoire », est immédiatement mis en acte avec le choix de l’opéra de Benjamin Britten, Peter Grimes. Pari réussi haut la main.
Peter Grimes est bien une œuvre au noir. Sombre, terrible. Opéra de 1945 résonnant avec l’époque comme avec le passé le plus récent, il crucifie le coupable idéal au nom d’une rumeur publique engendrant la délation la plus sombre. Face au réel, la mort de deux enfants, il ne faut pas chercher la vérité, mais un coupable. Et celui-ci est tout trouvé en la personnalité trouble, marginale et torturée de Peter Grimes. « Nous ferons payer le meurtrier » hurle la meute en guise de dernier mot. Mais y-a-t-il un meurtrier ?
Ce qui frappe avant tout dans cette production est d’abord le fabuleux travail collectif, à commencer par celui du chœur. Personnage essentiel du drame, incarnation de l’opinion publique en ce qu’elle peut avoir de plus violent et sinistre, il chante jusqu’au cri. Particulièrement présent, homogène, il s’impose rapidement dès le prologue, se jouant des pièges rythmiques d’une partition exigeante.
Le metteur en scène n’est autre que Frédéric Roels lui-même. Il rend l’opéra clairement lisible, par un travail efficace et sobre. Mais disons tout de suite que c’est dans la scénographie de Bruno de Lavenère que réside le point problématique du spectacle. Si l’idée de deux pontons mobiles et d’un ciel tourmenté en fond de scène est simple et se révèle efficace, pourquoi cette bâche noire, vaste sac poubelle envahissant et polluant le plateau, soulevée incessamment par quelques câbles, dessinant de façon improbable une voile agitée par la tempête, voire une chauve-souris maléfique ? De même, à quoi sert cette rampe de lumières qui ouvre et clôt le spectacle, aveuglant les spectateurs durant d’interminables minutes ? Est-ce un premier degré afin d’illustrer étrangement les mots de Grimes à la fin du prologue : « le destin est aveugle » ? Enfin, pourquoi nous imposer des changements de décors à vue lorsqu’ils ne sont que déplacement de praticable opérés par des techniciens de plateau, casque de régie à l’oreille ? Un baisser de rideau eût été autrement pertinent afin d’entendre, sans scories visuelles, les formidables interludes orchestraux déployés par Britten.
Car l’écriture de Britten est particulièrement foisonnante dans sa diversité, passant de l’intime au trivial, de rythmes de comédie musicale à des moments regardant vers Chostakovitch. Le chef Federico Santi a accompli un formidable travail et cela s’entendait avec bonheur. Ce n’est pas un hasard si, au tombé de rideau, l’orchestre s’est immédiatement mis à l’applaudir.
Si l’on peut trouver que le premier interlude manque de mystère, on admirera l’énergie déployée dans celui de la tempête, la subtilité de timbres et la poésie recherchées dans le bouleversant dernier interlude ouvrant sur le drame final. Tout au long de l’œuvre, les musiciens étaient en phase avec son esprit, changeant. L’orchestre s’investit totalement dans le spectacle, avec un pupitre de cuivre superlatif, vibrant, feulant, grondant, avec une petite harmonie toujours pertinente (clarinettes et flûtes en tête, mais bassons et hautbois ne sont pas en reste). Le ronflement des contrebasses, le chant des violoncelles viennent renforcer la réussite. Seules les autres cordes, particulièrement les violons, semblent en retrait, avec parfois quelques problèmes de justesse comme de coloris.
Côté solistes, nous sommes à la fête. À commencer par le Grimes halluciné que campe le ténor Uwe Stickert. Tour à tour, inquiet, rêveur, rarement violent, il campe un poète plus qu’une brute et ce choix interprétatif judicieux ne fait qu’accentuer la profondeur du questionnement ouvert par l’œuvre de George Crabbe, adaptée par le librettiste Montague Slater et magnifiée par Britten. C’est une totale réussite.
Et puis il y a la touchante Ellen interprétée par Ludivine Gombert. Ses duos avec Peter Grimes sont émouvants, son quatuor avec ses comparses particulièrement réussi. Elle y chante avec l’excellente Cornelia Oncioiu, qui campe une savoureuse Tantine tenancière de pub au côté des deux nièces délurées, Charlotte Bonnet et Judith Fa. Quant à Svetlana Lifar, elle donne à Mrs Sedley, la langue de vipère accro au laudanum, une vraie présence.
Les rôles masculins ne sont pas en reste, de l’autorité d’un Robert Bork en capitaine Balstrode à l’impressionnant Pierre Derhet en Bob Boles et à Laurent Deleuil donnant une belle présence à Ned Keene le pharmacien, aux basses Geoffroy Buffière (Swallow) et Ugo Rabec (Hobson) ainsi qu’au ténor Jonathan Boyd (le révérend Adams).
Magnifiant un drame de la noirceur, tous s’intègrent avec bonheur dans ce travail d’équipe pour une ouverture particulièrement réussie.
Peter Grimes : Uwe Stickert
Swallow : Geoffroy Buffire
Ned Keene : Laurent Deleuil
Bob Boles : Pierre Derhet
Reverend Horace Adams : Jonathan Boyd
Hobson : Ugo Rabec
Captain Balstrode : Robert Bork
Fisherman : Jean François Baroin
A lawyer : Julien
First Niece Charlotte Bonet
Second Niece : Judith Fa
Auntie : Cornelia Oncioiu
Mrs Sedley : Svetlana Lifar
Fisherwoman : Clelia Moreau
Orchestre et chœurs de l’Opéra Grand Avignon, dir. Federico Santi
Mise en scène : Frédéric Roels
Peter Grimes
Opéra en trois actes de Benjamin Britten, livret de Montagu Slater d’après un poème de George Crabbe, créé au Sadler’s Wells Theatre de Londres le 7 juin 1945.
Opéra Grand Avignon, représentation du vendredi 15octobre 2021.