Dans l’écrin de l’Opéra-Comédie, la lecture théâtralisée des lettres de Maria Callas ravive la flamme des lyricomanes ou bien captive la curiosité des nouveaux publics de Montpellier. Entre les extraits musicaux, l’interprétation de la comédienne Monica Bellucci plaide par sa sobre intimité, face à un public venu pour l’une et l’autre.
De la diva à la star, être seule en scène
Les actrices s’empareraient-elles des biopics de musiciennes pour des spectacles actuellement à la mode ? Serait-ce une manière de réparer l’invisibilité des femmes de l’univers culturel que de confier leur incarnation à des stars ? Au Théâtre du Rond-Point (Paris), Laetitia Casta joue tous les personnages de la vie de Clara Haskil, pianiste. Montpellier est l’étape de la tournée de Monica Bellucci dans Lettres et Mémoires de Maria Callas.
Ici, il s’agit moins d’une autobiographie que d’une intime évocation de Maria Callas (1923-1977), diva dont la légende nourrit encore les passions et les représentations. Ce spectacle investit la légende avec chic et sobriété, à l’image de Monica Bellucci, star internationale du cinéma, dont le français posément articulé vibre d’intonations italiennes.
Drapée dans une robe noire longue (portée par Callas en personne), la comédienne susurre le texte d’une vingtaine de lettres (ordre chronologique de 1947 à 1975) dans des lumières tamisées autour du cercle du canapé, reproduction de celui de l’appartement parisien de l’artiste. Tandis que notre attention est alternativement orientée vers la voix parlée (Bellucci), la voix chantée (enregistrements de la Callas), l’aspect informatif des lettres – nom des destinataires, dates – s’inscrit sobrement en toile de fonds, sans masquer l’Orchestre national de Montpellier, disposé en arc de cercle derrière la comédienne. Pourrait-on suggérer plus de vie dans les déplacements de l’actrice, notamment en connexion des musiciens présents (et indispensables) sur ce même plateau ? Ce n’est pas un « seul en scène » … Ni une émission de radio, telle celle du Journal intime de Callas, enregistré par Carole Bouquet.
Le metteur en scène Tom Volf (réalisateur du film Maria by Callas, 2018) puise dans la publication de Lettres et mémoires (éd. Albin Michel) de quoi brosser le portrait d’une femme ni capricieuse, ni impérieuse, ni tigresse comme la presse people l’a laissé entendre. La tonalité est livrée dès les premiers aveux de ses Mémoires « Un jour, j’écrirai mon autobiographie, je voudrais l’écrire moi-même afin de mettre les choses au clair ; il y a eu tellement de mensonges dits sur moi … ». On découvre une artiste consciencieuse, avide de construire au mieux l’interprétation du répertoire des années d’après-guerre. Auprès du chef d’orchestre Tullio Serafin pour La Gioconda (Ponchielli) et Norma (Bellini), auprès de son mentor et époux Meneghini pour Isolde (R. Wagner), mais aussi de Toscanini pour Macbeth (Verdi), la chanteuse approfondit l’incarnation de rôles qu’elle imprègne durablement de sa puissance dramatique. La sensibilité à fleur de peau d’une femme éprouvant la solitude surgit de la sélection épistolaire. Mal aimée depuis sa petite enfance (mère), priant son mari d’ « aimer Maria » en sus d’admirer la Callas, elle confie sa vulnérabilité, sa détresse lorsque le riche Onassis l’abandonne lâchement (sans la prévenir de son mariage avec Jackie Kennedy). De rares amis fidèles, un oncle médecin et sa professeure (la cantatrice Elvira da Hidalgo) demeurent les seuls remparts contre sa terrible solitude, celle de l’artiste se produisant de capitale en capitale durant les décennies 1950-1970. Pour autant, la sollicitude de Maria n’est pas avare de conseils à l’égard d’autres artistes également fragilisés par la vie, tels L. Visconti, Pier Paolo Pasolini.
Du point de vue formel enfin, la fluidité des composantes est réussie. Les extraits joués par l’Orchestre national de Montpellier Occitanie sont tuilés aux quelques enregistrements historiques de Callas. Les arrangements musicaux de ceux en présentiel (arrangeur hélas non documenté dans le programme de salle) sont confiés à l’Orchestre en formation réduite. De ce fait, les soli successifs de flûte (Maël Marcon) dans « Casta diva » de Norma, de clarinette (Benjamin Fontaine) dans Tosca, de violoncelle (Cyril Tricoire) dans Andrea Chenier délivrent la puissance expressive italienne, dont le phrasé est idéal sous la baguette de Gwennnolé Rufet. Celui-ci est particulièrement réactif aux enchainements avec les extraits enregistrés, tout comme le piano (Galina Soumm) transposant l’air des larmes de Charlotte (Werther de Massenet).
La voix de Maria, la Divina assoluta
De la modeste enfance de Sophie Cecila Kalos (New York, puis Athènes sous l’occupation allemande) jusqu’à sa renommée mondiale des années 50, le parcours de la soprano grecque Maria Callas (1923-1977) est semé d’épisodes de gloire et d’embûches. Car son ascension fulgurante, grâce à son talent, son travail et l’appui de son mentor-impresario italien, G.-B. Meneghini, est corollaire d’une Callasmania des publics et de la presse. Adulée sur scène, épiée dans sa vie privée, la cantatrice est l’objet d’un lynchage médiatique lorsqu’elle est contrainte d’abandonner la scène romaine un soir de méforme, lors de la représentation de Norma (1958), son rôle fétiche. Face à la violence des articles de presse, la Divina assoluta commence à douter. Dès lors, sa santé vocale et mentale se détériore, fragilisée par un mari toxique (G.-B. Meneghini), un amoureux mondain qui la délaisse (Aristote Onassis) et un trop grand nombre de productions. Elle assume en effet plus de 560 levers de rideau jusqu’en 1970 : de Kundry (Parsifal) à Isolde, des Puritani à Turandot ! Certaines interprétations devenues mythiques contribuent au statut légendaire de l’artiste : Traviata avec le maestro T. Serafin (1951), Médée de Cherubini à la Scala (1953, enregistrement en 1957), Lucia di Lammermoor dirigé par H. von Karajan (Berlin, 1955).
Grâce à quatre enregistrements diffusés pendant ce spectacle, l’émotion surgit instantanément pour l’auditeur et confirme la confidence d’une lettre de Maria s’interrogeant sur sa voix – « Il y a l’âme dans cet instrument ». Plus que la plénitude charnue du timbre, la générosité ou la dureté des aigus, c’est bien la présence dramatique frémissante qui bouleverse à travers les âges.
Durant ce spectacle très applaudi à Montpellier, nous savourons la voix enregistrée et un artefact de la Divina, à l’instar du héros du Château des Carpathes (J. Verne) face à La Stilla disparue !
Pour en savoir plus sur l’art de Maria Callas, découvrez le dossier que Stéphane Lelièvre lui a consacré.
Illustration de Léon Benett pour Le Château des Carpathes de Jules Verne (1892)
Monica Bellucci, comédienne
Tom Volf, mise en scène
Orchestre national de Montpellier Occitanie, dir. Gwennolé Rufet
Maria Callas, Lettres et mémoires
Extraits de Cavalleria rusticana de P. Mascagni ; La Gioconda d’A. Ponchielli ; Norma de V. Bellini ; La Traviata de G. Verdi ; Medea de L. Cherubini ; Tosca de G. Puccini ; Werther de Massenet ; Andrea Chenier d’U. Giordano.