Création à la Seine Musicale : Mozart. Une journée particulière : 12 novembre 1791
Une œuvre originale alliant théâtre, opéra, musique symphonique et cinéma d’animation
Mozart mais aussi Bach et Haydn
C’est dans le cadre du « Festival Mozart Maximum », s’étalant sur une semaine, qu’a eu lieu la création de cette œuvre composite, conçue per David Lescot à partir de 1791: Mozart’s Last Year (1988), biographie romancée de Howard Chandler Robbins Landon. Le choix du dramaturge se limitant, par la force des choses, à un laps de temps plus restreint, c’est finalement la seule journée du 12 novembre 1791 qui est ici illustrée, cette journée particulière qui pourrait induire le spectateur cinéphile en erreur, cette réalisation n’ayant pas grand-chose à partager avec le célèbre film d’Ettore Scola de 1977, sinon une longue progression vers sa propre fin, dans ce cas quelque trois semaines avant la disparition du compositeur.
En effet, la mort plane dès le lever du rideau dans ce spectacle qui conjugue théâtre, opéra, musique symphonique et cinéma, où les dialogues parlés sont entremêlés d’interventions musicales, essentiellement de la plume de Mozart et principalement puisées dans les titres de 1791 (La clemenza di Tito, Die Zauberflöte et le Requiem), sauf pour deux brèves parenthèses tirées de Bach et de Haydn, où les décors sont remplacés par la projection, sur un immense tulle séparant la scène de l’orchestre, de la bande dessinée de Sagar Forniés et de Jordi Gastó. C’est ainsi qu’apparaît aussitôt un corbeau de mauvais augure, un plan d’époque de la ville de Vienne en arrière-plan, qui nous promène dans les rues de la capitale habsbourgeoise et jusque dans la demeure, sans doute démesurée, du musicien, avant de réapparaître plus tard sous les traits d’un valet masqué, émissaire du commanditaire du Requiem. Pour une fois, le bourreau de Mozart ne sera pas Salieri, réduit à une icône et à une voix, tout de même bienveillante.
L’un des plus grands symphonistes de son temps
Par la suite, le public accompagne le pas lent du maestro le menant dans les palais du baron van Swieten et de l’ambassadeur Galitzine ou au théâtre. Participant à une matinée musicale chez le premier, Mozart, interprété avec brio par le pianiste Thomas Enhco, joue un extrait d’O Lamm Gottes, unschuldig de Bach, un agneau figurant justement dans l’un des tableaux de la pièce, en guise de préfiguration de son prochain sacrifice. Il parachève par cœur une symphonie que Haydn lui avait prêtée auparavant et s’endort au piano en jouant la n° 92, Oxford, de son confrère, qu’il considère comme l’un des plus grands symphonistes de son temps. C’est que cette activité sans relâche cache le début d’une profonde crise, suggérée par la brève apparition sans doute de Galitzine, ou en tout cas du baryton Mikhail Timoshenko qui égraine quelques notes du Ne pulvis et cinis superbe te geras. Lorsque viennent s’ajouter les soucis financiers : à son salaire chez Swieten divisé par deux fait suite l’arrêté du tribunal sommant Mozart de payer ses dettes, sans quoi il sera saisi de ses biens.
Opéra et politique
On évoque le succès de Die Zauberflöte mais c’est déjà une mise en abyme, comme le suggèrent les paroles du trio de La clemenza di Tito, « Vengo! Aspettate », attaqué par Vitellia, une envoûtante Florie Valiquette, Mademoiselle de Destary, la favorite de Galitzine. Le comédien Jacques Verzier incarne alors Papageno, peut-être par le biais du librettiste Schikaneder, et c’est Mozart lui-même qui se retrouve prostré au sol, Tamino attendant la remise de la flûte par les trois dames, ici réduites au nombre de deux. Mais ce triomphe lui vaut aussi les insinuations de son protecteur, ambassadeur de Russie, qui le met en garde de ne pas se mêler de politique : il est soupçonné d’appartenir à la secte des Illuminati et un opéra aux symboles maçonniques trop explicites ne peut que faire ressortir ses penchants révolutionnaires, tout franc-maçon étant forcément un espion à la solde des Français.
Amor mortis
Il neige. Mozart se sent mal. Galitzine accepte de payer ses dettes. Ce qui lui vaut une nouvelle commande de Mademoiselle de Destary, laquelle, sans doute amoureuse de lui, enchaîne « S’altro che lacrime » de Servilia et « Ah perdona al primo affetto » avec Annio, deux extraits de La clemenza di Tito. Ce sera le « Lacrimosa » du même Requiem. Mais le compositeur est au plus bas. Il retrouve Constanze-Zerlina, la délicieuse Antoinette Dennefeld, pour un dernier « Batti, batti, o bel Masetto » de Don Giovanni et « Dolce d’amor compagna » de Ramino dans La finta giardiniera, avant de s’aliter, épuisé par cette longue journée que conclut le « Laudate dominum » des Vesperæ solennes de confessore. La représentation s’achevant par un extrait du dernier mouvement de la Sérénade K. 320, renouvelant l’espoir.
Malgré quelques lourdeurs dans les cuivres et dans les vents, direction fluide de Laurence Equilbey dont on connaît les affinités avec les symphonies de Mozart et, côté opéra, la récente publication de Lucio Silla, enregistré dans ce lieu-même. Belle exécution du deuxième mouvement du Concerto pour piano n° 27 K. 595 par notre héros-pianiste. Bonne tenue des chanteurs, ayant tous une longue expérience des œuvres du compositeur à la scène, pour une soirée très agréable que le public visiblement apprécie.
Mozart : Thomas Enhco
Ana Maria Von Genzinger, Mademoiselle de Destary : Florie Valiquette
Constanze : Antoinette Dennefeld
Keess, le messager, l’assistant : Yoann Le Lan
Galitzine : Mikhail Timoshenko
Swieten, Schloissnigg, Schikaneder : Jacques Verzier
Insula orchestra, dir. Laurence Equilbey
Mise en scène, adaptation : David Lescot
Mozart. Une journée particulière : 12 novembre 1791
Acte unique de David Lescot, d’après Mozart’s Last Year de Howard Chandler Robbins Landon, musique de Wolfgang Amadeus Mozart, Johann Sebastian Bach, Joseph Haydn (création)
La Seine Musicale-Auditorium Patrick Devedjian, jeudi 23 juin