Leonardo García Alarcón a un rapport très intime avec l’Orfeo de Monteverdi. Il creuse la partition depuis plusieurs années, en connait les arcanes, y imprime des choix personnels, tour à tour énergiques ou profonds. Il enflamme l’œuvre du Festival d’Ambronay au Teatro Colon de Buenos Aires, du Festival de Saint-Denis à la Seine Musicale. Il sait qu’il peut compter sur l’excellence de ses musiciens de la Capella Mediterranea.
En 1607, avec son Orfeo, Monteverdi inventait, dit-on, l’opéra. Son librettiste, le poète Alessandro Striggio, dont le père était un grand compositeur, puisait aux sources multiples d’une culture occidentale revivifiée par la Renaissance : Ovide, Virgile, Marcile Fissin. En 2023, le chef d’orchestre n’oublie pas ces racines, tout en ajoutant une pincée épicée d’influences sud-américaines dans le choix d’une instrumentation souvent étoffée et de tempi parfois très allants. La vitalité du continuo donne l’impression que la nature entière vibre à l’unisson de l’urgence de la quête d’Orphée.
Mais ce foisonnement baroque instrumental n’oublie pas le ciselé du madrigal (bouleversant « Ahi caso acerbo » à cinq voix), l’attention de chaque instant au texte, au parlar cantando si cher à Monteverdi, faisant du concert (comme du disque qui l’a précédé, et que Première Loge avait chroniqué) un kaléidoscope d’émotions.
Et ce d’autant plus que Garcia Alarcon se sert de l’espace de la belle salle de cette Seine Musicale, avec une dramaturgie sobre mais très efficace, jouant sur les mouvements du chœur, disposant ici tel chanteur au balcon, là tel instrumentiste en fond de salle. L’utilisation des lumières (pas toujours techniquement au point…) permet de baigner le lieu de vert pour la fête nuptiale, virant au bleu sombre lorsque la messagère (formidable et si poignante Guiseppina Bridelli) apporte la nouvelle de la mort d’Eurydice. Les enfers sont nimbés de rouge, où la profondeur de la basse Salvo Vitale en Charon fait bien plus impression que le Pluton d’Alejandro Meerapfel.
De couleurs, le concert n’en manque pas, ni de ruptures de ton, comme le réclame la partition elle-même. Ainsi, la ritournelle qui clôt la première partie, d’une infinie tristesse, semble arrêter le temps. Pourtant, dès le premier tableau, il est certains chœurs trop rapides, presque boulés (« Lascia di monte »). L’air d’Orphée « Vi ricorda, o broschi ambrosi… » était si endiablé que l’on se croyait sur un dance floor. Mais surtout, la profusion instrumentale empêchait l’air sublime « Rosa del ciel » de se déployer avec la grâce et la liberté souhaitée.
Le chant de Valerio Contaldo est en tout point irréprochable. D’où vient alors que l’interprétation nuancée de son Orphée ne nous touche pas toujours, malgré un déchirant « Sole addio », chanté lorsqu’il apprend la mort de sa femme ? Est-ce lié à un manque d’incarnation ce soir-là ? Ou à un jeu parfois trop expressif, lorsque son Orfeo finit prostré sur scène après avoir définitivement perdu son Eurydice ?
Marianna Flores était cette Eurydice touchante après avoir incarné, en ouverture, de façon aussi sculpturale qu’impériale, l’esprit de la Musique, alors qu’Anna Reinhold campait une enjôleuse Proserpine.
« Ici bas, rien ne réjouit ni ne dure » nous rappelle Monteverdi en guise de morale, par le truchement d’Apollon (excellent Alessandro Giangrande). Ce n’est pourtant pas l’impression qui nous reste après ce concert.
Orfeo : Valerio Contaldo
La Musique, Euridice : Mariana Florès
Messagère : Guiseppina Bridelli
Proserpine, L’Espérance : Anna Reinhold
Pluton : Alejandro Meerapfel
Charon : Salvo Vitale
Berger, Apollo : Alessandro Giangrande
Berger : Matteo Bellotto
Berger, esprit, écho : Nicholas Scott
Cappella Mediterranea, dir. Leonardo Garcia Alarcón
Choeur de chambre de Namur
L’Orfeo
Favola in musica en un prologue et cinq actes de Claudio Monteverdi, livret d’Alessandro Striggio fils, créé le 24 février 1607 au Palazzo Ducale de Mantoue.
Boulogne-Billancourt, La Seine Musicale, concert du mercredi 5 avril 2023