À trois exceptions près, les chanteurs qui ont participé au Concert d’ouverture de la saison viennent tous d’intégrer ce mois-ci l’Académie de l’Opéra de Paris. C’est dire si le spectacle proposé jeudi soir était attendu. L’Académie, en effet , permet de découvrir celles et ceux qui, bien souvent, enchanteront les scènes d’opéras dans les années à venir. Aude Extrémo, Adriana Gonzales (premier prix du Concours Operalia cette année), Angélique Boudeville, Mikhail Timoshenko, Pietro di Bianco, ou encore le chef Iñaki Encina comptent, entre autres, parmi les anciens élèves de l’Académie (ou de l’Atelier lyrique qui l’a précédé) et ont déjà tous entamé une belle carrière nationale ou internationale.
Le promotion 2019-2021 s’annonce d’ores et déjà excellente, et le public, venu nombreux, a fait fête à ces artistes, chanteurs ou instrumentistes, plus que prometteurs. Dans un spectacle sobre et efficace réglé par le metteur en scène Pascal Neyron (lui aussi en résidence à l’Académie), ils se sont confrontés à des pages célèbres et exigeantes de La Flûte enchantée, Les Noces de Figaro, Mithridate, Le Barbier de Séville, La Fille du régiment, Le Turc en Italie, La Reine de Saba, Lakmé, La Bohème, faisant alterner scènes complètes, ensembles, duos ou airs.
Pour les longs extraits de La Flûte enchantée et pour le quatuor qui clôt le troisième acte de La Bohème, ils ont été accompagnés par un ensemble de dix instrumentistes (eux aussi fraîchement recrutés) : Julius Bernad, Yohan Brakha, Misa Mamiyia, Marin Lamacque (violons), Hervé Blandinières, Marie Walter (altos), Alberic Boullenois, Saem Heo (violoncelles), Zi An Wu (contrebasse) et Olga Dubynska (piano). Passées les premières mesures de l’ouverture de La Flûte, légèrement incertaines et manquant un peu de punch, ils ont vite, sous la direction attentive de Rémi Chaulet, fait preuve de précision, de dynamisme , d’un sens certain des couleurs et des contrastes – notamment dans la Sérénade n°13 K. 525 (Une petite musique de nuit) par laquelle s’est achevée la première partie du concert. Les autres pièces vocales ont été accompagnées au piano par les talentueux Edward Liddall, Christopher Vazan ou Olga Dubynska.
Parmi les cinq chanteurs masculins, deux barytons sont déjà connus du public : Timothée Varon, qui avait brûlé les planches dans L’Élixir d’amour l’an dernier lors du concert donné à Garnier, et Alexander York, déjà entendu notamment en docteur Falke de La Chauve-Souris.
Le Papageno du baryton américain fait entendre un matériau vocal de qualité (voix sonore, homogénéité des registres) mais gagnerait à plus de variété et de fantaisie dans l’interprétation, les trois couplets du Vogelfänger étant chantés de façon trop identique : l’utilisation d’un panel de couleurs plus large, une plus grande attention aux mots et au sens du texte permettraient sans doute de rendre l’interprétation plus vivante. Timothée Varon confirme qu’il est un chanteur-acteur né. D’une aisance incroyable sur scène, il propose un Figaro (puis un Marcel de la Bohème) drôle, jeune, enjoué et se sort avec les honneurs des difficiles vocalises de son duo avec Rosine. La voix est saine, agréable, efficacement projetée et le plaisir d’être sur scène et de chanter transparaît immédiatement !
Sa Rosine a fait figure de révélation : Ramya Roy, mezzo-soprano d’origine indienne, accroche immédiatement l’oreille par son timbre capiteux, puissant mais déjà capable d’une très belle virtuosité. Avec un peu plus d’aisance en scène et un travail sur la gestion du souffle (elle est contrainte de reprendre – discrètement – sa respiration lors des longues et difficiles lignes ornées que chante Rosine), nous tiendrons là assurément un mezzo de grande qualité, au chant et à la voix très personnels.
Elle donne par ailleurs, en Malika, une réplique pleine de fraîcheur et de musicalité à la Lakmé d’Ilanah Lobel-Torres, au timbre étonnamment rond et chaleureux pour le rôle – et c’est tant mieux : la voix du soprano se marie ainsi idéalement au timbre sombre de sa partenaire. Ilanah Lobel-Torres a par ailleurs remporté un très grand succès personnel pour son interprétation nuancée, délicate et très en place stylistiquement de l’air de Suzanne : « Deh, vieni, non tardar… » Une artiste à suivre, assurément !
Grand succès également pour l’interprétation de l’air de La Reine de Saba par Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, même si son interprétation de la deuxième dame dans La Flûte nous a paru encore supérieure. Il faut dire que l’air de Balkis est extrêmement difficile, puisqu’il réclame à la fois une belle puissance, un ambitus très large, et un sens de la déclamation assuré. La ligne de chant est tout d’abord un peu fluctuante, faute d’un soutien de la voix insuffisamment affirmé. Mais la reprise de « Plus grand dans son obscurité » est meilleure, mieux projetée, plus stable, l’interprète ayant peut-être gagné en assurance – et la voix s’étant probablement « chauffée » – au fil de l’air.
Kseniia Proshina, jeune soprano russe, est une Pamina dont le timbre manque légèrement de rondeur et l’interprétation d’émotion, notamment dans un « Ach, ich fühl’s » plus appliqué que vécu. Mais elle sera plus convaincante en Musette, le personnage correspondant peut-être mieux à sa personnalité (son duo avec Timothée Varon offre un beau contrepoint comique à celui formé par Mimi et Rodolphe). Andrea Cueva Molnar fait valoir quant à elle une belle homogénéité entre les registres dans le « Porgi, amor » de la Comtesse, et est par ailleurs une Mimi de La Bohème très touchante.
Liubov Medvedeva avait ébloui le Palais Garnier par son interprétation brillante de La Fille du Régiment lors du concert de janvier dernier. Sa Fiorella du Turc en Italie convainc un peu moins, mais cela est sans doute dû au choix du rôle, dont la tessiture reste assez centrale – malgré le suraigu non écrit par lequel elle couronne son air. De fait, les Fiorilla célèbres (Maria Callas, Lella Cuberli, Cecilia Bartoli) ne sont pas exactement des sopranos légers, et les graves et le médium de Liubov Medvedeva sonnent ici un peu légers… Reste malgré tout un certain abattage et des vocalises très soignées.
Le contre-ténor Fernando Escalona a proposé l’air de Farnace « Venga pur, minacci » extrait du Mithridate de Mozart. L’opulence et la rondeur du registre grave, l’autorité de l’accent, un aigu fièrement dardé à la fin de l’air ont suscité l’enthousiasme du public. Il faudrait cependant veiller à homogénéiser les registres : le chanteur donne souvent l’impression de disposer de deux voix distinctes, la plénitude des graves s’opposant à un registre aigu plus rêche et un peu acide.
Deux ténors pour terminer, aux voix très différentes :
Le Tamino du suédois Tobias Westman est sobre, élégant, nuancé. La voix est chaude, capable de puissance, et présente parfois des couleurs un peu sombres, à l’inverse du ténor coréen Ki Up Lee, au timbre solaire et éclatant. Son étonnante aisance dans l’aigu lui vaut un franc succès en Tonio de La Fille du Régiment. Sa diction française est certes perfectible mais déjà correcte. Quel dommage, pourtant, qu’il ne se soit trouvé personne pour lui dire que dans le syntagme « me rend un héros », on ne doit faire de liaison ni entre « rend » et « un », ni entre « un » et « héros » ! Attendons maintenant de l’entendre dans des pages moins spectaculaires et plus élégiaques pour avoir un aperçu plus complet de ses possibilités, même si ses répliques en Rodolphe dans le quatuor de La Bohème font déjà entendre un chant legato soigné et une capacité à varier l’intensité vocale.
Au-delà des quelques petites critiques formulées ici ou là, revenons, pour conclure, sur l’excellence de cette promotion et finissons par un conseil : guettez les prochains concerts de ces jeunes chanteurs et ne les manquez pas. Il n’y a rien de plus beau et de plus réjouissant que de suivre le parcours et les progrès de musiciens en devenir !