Concerts d’automne de Tours : grande émotion pour une Petite Messe !
Photos : © Rémi Angeli
Le 14 mars 1864, soit 35 ans après Guillaume Tell, la Petite Messe solennelle de Rossini est créée dans la chapelle privée du comte Alexis Pillet-Will. Selon les indications portées par Rossini lui-même sur sa partition, douze chanteurs seulement suffisent à son exécution, des chanteurs « des trois sexes, hommes, femmes et castrats […], savoir huit pour les chœurs, quatre pour les solos, total douze chérubins ». Certaines versions enregistrées ou proposées en concert, en convoquant une importante masse chorale, sont donc assez éloignées des conditions originelles de la création.
C’est un (presque) retour aux sources que proposent Joël Suhubiette et le chœur Les Éléments, avec 16 choristes (4 par pupitre) et 4 solistes. Le choix de cet effectif réduit confère à l’œuvre, une transparence, une netteté, un caractère incisif qui échappent parfois aux ensembles plus nombreux. La contrepartie, bien sûr, réside dans l’indispensable précision dont doivent faire preuve les choristes, la moindre erreur de rythme, de justesse, d’intensité pouvant s’avérer fatale au délicat équilibre de l’œuvre – et sauter immédiatement aux oreilles de l’auditeur. On pouvait compter sur la musicalité exemplaire des Éléments pour échapper à ces travers : d’une malléabilité et d’une variété de couleurs étonnantes, d’une précision infaillible, ils se sont montrés aussi à l’aise dans le double canon sotto voce du Christe Eleison (qui aura rarement évoqué à ce point le souvenir de l’écriture renaissante) que dans l’écriture virtuosissime de la double fugue du Cum Sancto Spiritu, ou encore dans les épanchements plus lyriques qui concluent le poignant Agnus Dei.
Même si les quatre solistes de la création (les sœurs Marchisio, Italo Gardoni et Luigi Agnesi) étaient des gosiers célèbres rompus au style de l’opéra, le choix des chanteurs pour ce concert tourangeau s’est avéré très pertinent : afin de s’intégrer harmonieusement à la conception d’ensemble sans écraser les chœurs, les voix ne sont pas surdimensionnées et les interprètes évitent tout débordement trop lyrique. Julia Wischniewski (soprano), dont la voix, relativement sombre (elle interprète régulièrement la Didon de Purcell), possède un léger vibrato serré qui la rend immédiatement émouvante, Lise Nougier, au timbre clair contrastant agréablement avec celui de sa partenaire dans le Qui tollis, Olivier Déjean (basse), à la projection efficace – et qui se sort plus qu’honorablement des difficiles aigus de sa partition – et Riccardo Romeo, ténor à la voix souple et claire élégamment conduite, jouent ainsi le jeu de la rigueur stylistique et de la sobriété. En témoigne leur disposition sur le plateau : intégrés aux choristes, ils font quelques pas en avant pour les pages dans lesquelles ils interviennent en tant que solistes, restant face au chef sans se placer, selon la coutume, à l’avant-scène.
Natalie Steinberg et Mary Olivon aux piano-fortes et Emmanuel Mandrin à l’harmonium manifestent la même sincérité, la même ferveur sobre que les choristes et les solistes, sous la direction d’un Joël Suhubiette dont on a peine à croire qu’il interprète l’œuvre pour la première fois tant il en révèle avec maestria la délicate alchimie, faite de rigueur, de subtilité et d’émotion discrète.
À l’issue du concert, tous les artistes sont applaudis avec enthousiasme par un public attentif et reconnaissant !
Julia Wischniewski, soprano
Lise Nougier, alto
Riccardo Romeo, ténor
Olivier Déjean, basse
Natalie Steinberg & Mary Olivon, piano-forte (Erard 1862, Pleyel 1843)
Emmanuel Mandrin, harmonium (Debain 1880)
Chœur Les Éléments
Joël Suhubiette, direction
Concert du vendredi 25 octobre 2019