Un piano, un harmonium, une vingtaine de pupitres au fond et quatre solistes au devant de la scène. Au milieu, le podium du chef. Voilà tout, et cela est plus que suffisant au génie rossinien pour exprimer avec peu de moyens la solennité d’un chant religieux. Un chant qui s’exprime sous une forme stylistique encore fortement liée au lyrisme théâtral italien, qui n’hésite pas à franchir les limites de la tradition musicale liturgique pour aller vers le drame et qui cède même parfois à la tentation du style virtuose. Nous nous rappelons certainement de la célèbre boutade de Rossini, âgé alors de 71 ans, sous forme de dédicace/justification adressée au Bon Dieu lui-même : « Bon Dieu. La voilà terminée cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? J’étais né pour l’opera buffa tu le sais bien ! Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni et accorde moi le Paradis ».
Pour couronner une soirée riche en émotions, il ne reste qu’à mettre ensemble des chanteurs et instrumentistes de premier ordre, un chœur qui sonne bien et, pour paraphraser le compositeur lui-même, nous voilà vraiment au paradis. On aurait eu beaucoup de plaisir à écouter la talentueuse alto Anthea Pichanick chantant le célébrissime Agnus dei qui clôture cette partition originale et passionnante de Rossini, mais, avant l’entrée des artistes sur scène, une voix off nous informe que la chanteuse est remplacée pour l’occasion par le contre-ténor Carlo Vistoli, dont le nom était peut-être moins familier au public. Un « oh non ! » résonne dans la salle silencieuse (mais pas un «merci» pour accueillir le contre-ténor…), qui reste suspendu comme une épée de Damoclès sur la tête de ce jeune chanteur, dont on perçoit la tension mal cachée au cours de la soirée. De fait, la distribution est alléchante : parmi les autres solistes figurent le ténor Cyrille Dubois très à l’aise dans le répertoire rossinien. Le ténor chante avec un grand naturel et une attention profonde aux dynamiques du phrasé rossinien, bien que son timbre soit peut-être un peu léger pour le « Domine Deus », que l’on préfère souvent chanté par des voix plus lyriques. À ses côtés, la soprano arménienne Hasmik Torosyan nous dévoile un timbre aux vagues résonnances gutturales dans le grave mais bien placé dans l’aigu pour un « Ô salutaris hostia » plein d’émotion, chanté tout en finesse. Après les premiers accents fortissimo du chœur à la section « Gloria » , le contraste sublime des accords graves du piano laissent la voix du baryton-basse italien Daniele Antonangeli déployer son beau timbre sur les mots « … et in terra pax hominibus bone voluntatis ». Nous constatons vite que nous avons devant nous potentiellement un grand baryton encore plus qu’une basse profonde. La voix est souple et le timbre très beau avec un phrasé très énergique et généreux que l’on aurait plaisir à écouter dans les rôles de ténébreux verdiens ou dans le rôle titre du Don Giovanni mozartien, qui est d’ailleurs un de ses rôles favoris. L’émission, sans être d’une puissance de stentor, est bien contrôlée et réussit admirablement le difficile « Quoniam » (même si le souffle peut encore gagner en longueur). Enfin la surprise de la soiré s’est révélée une très bonne surprise. Pas très bien accueilli au début et malgré la tension qu’il devait ressentir, due à son remplacement au pied levé, on a pu admirer la voix très sonore et puissante de Carlo Vistoli dès le magnifique « Qui tollis » chanté avec transport en duo avec la soprano et pendant ses autres interventions qui précèdent le morceau de bravoure qui l’attend à la fin de la messe. Pourtant, la pause est longue entre la dernière phrase chantée pendant le « Credo » et l’ « Agnus Dei ». La voix a le temps de perdre un peu sa position et il est difficile d’attaquer par une note limpide. C’est ce qui arrive au contre-ténor, dont la première note est un peu hasardeuse. Mais tout s’arrange par la suite : la voix est belle, le sentiment est juste et nous nous laissons ravir par les notes sublimes de cet air qui clôt majestueusement le concert.
Une mention spéciale va à la direction énergique et rythmée de Bart Van Reyn et à l’ensemble réduit du Chœur de la Radio Flamande. L’accompagnement pianistique de Tanguy de Willliencourt exprime très correctement cette interprétation vigoureuse de la Petite Messe de Rossini en ajoutant, dans le « Preludio religioso », une rigueur bachienne qui contrastent admirablement avec le style lyrique de l’ensemble. À l’harmonium, le rigoureux Bart Rodyns ajoute un élan et une atmosphère mystique à l’ensemble, ajoutant de la solennité à cette « petite messe », que Rossini aima définir « le dernier péché mortel de ma vieillesse ».