Airs et duos d’Amour dans le cadre romantique et varois du château Roubine
Imaginé et fondé par Marie-Jeanne Chauvin, le Festival « Les Musicales dans les Vignes » a lieu, chaque été, dans les plus prestigieux châteaux et domaines viticoles de Provence, permettant à un public plus nombreux, d’une année à l’autre, de déguster des vins prestigieux dans un environnement musical allant des musiques du monde au jazz, en passant par le classique et bien évidemment l’opéra.
C’est donc dans l’écrin du château Roubine, dans un cirque de pins et de chênes situés non loin de Draguignan, que Valérie Rousselle, propriétaire et chef d’entreprise de ce domaine viticole, reçoit ses hôtes pour une soirée lyrique consacrée aux grands airs et duos d’Amour, antidote parfait à la morosité des temps et, en ce qui nous concerne, premier concert sur le vif depuis le début du mois de mars.
Cette soirée, qui – sans la crise sanitaire – aurait dû permettre d’entendre, en première partie, un orchestre symphonique de jeunes du Danemark (année Beethoven oblige, la Ve était programmée) est donc, pour le plus grand plaisir d’un public nombreux et enthousiaste, exclusivement confiée aux soins du duo soprano-ténor, incontournable dans un tel programme.
À juste titre, les organisateurs ont misé pour faire chavirer les coeurs sur deux jeunes artistes franco-belges déjà familiers des scènes nationales et européennes : Chloé Chaume et Mickaël Spadaccini.
Invitée régulière des retransmissions télévisées de « Musiques en fête », Chloé Chaume – dont on avait pu découvrir en 2019 la très belle Marguerite de Faust à l’Opéra de Nice, l’un des rôles dans lequel elle est le plus engagée à ce jour – dispose aujourd’hui d’un solide matériau d’authentique soprano lyrique. Dans un programme où se côtoient la Giulietta des Capuleti e i Montecchi et la Violetta de Traviata, c’est davantage chez Gounod et Massenet que nous l’avons préférée. Dans le duo de Saint Sulpice, Chloé Chaume donne à entendre et à voir une Manon dont les directeurs de théâtre devront se souvenir dans l’avenir : fierté de l’accent et beauté du phrasé dès l’attaque sur « Oui, je fus cruelle et coupable », longueur du souffle, prononciation dont on ne perd pas un mot, voix égale sur tout l’ambitus, incarnation du personnage : tout est déjà là ! Dans la première partie du programme, ces qualités s’étaient déjà manifestées dans un air du Poison de Roméo et Juliette (« Dieu ! Quel frisson court dans mes veines »), l’un des plus héroïques de l’opéra français, où la voix affronte crânement les nombreuses difficultés distillées par le compositeur.
À ses côtés, le ténor belge Mickael Spadaccini réserve également quelques beaux moments. Diplômé du Conservatoire de Liège, ayant étudié à Busseto avec Carlo Bergonzi et à Modène avec Mirella Freni, ce séduisant artiste ne se contente pas de chanter mais profite de l’espace magnifique dans lequel il évolue pour jouer Roméo au balcon ou le Federico de l’Arlésienne près d’une fontaine romantique ; de même, dans l’air « Vesti la giubba » d’I Pagliacci, il sait avec émotion utiliser une veste noire comme accessoire. Dans ce type de soirée, c’est un atout non négligeable pour faire passer des émotions et gagner très vite les faveurs du public.
Doté d’amples moyens de ténor lyrique, Mickael Spadaccini dispose d’un répertoire impressionnant, le faisant se produire en Europe de l’Est, en Italie et en Allemagne tant dans l’opéra italien (il vient de chanter à Vilnius le rarissime I Lituani de Ponchielli) que dans le répertoire français (Carmen, Werther, Hoffmann). À ce stade de son évolution vocale, la fréquentation de rôles tels que Roméo ou Alfredo (La Traviata) ne correspondant plus forcément à son identité vocale, c’est davantage dans les extraits véristes et fin-de-siècle que nous l’avons préféré, avec en particulier une émouvante version de l’air de Riccardo Zandonai « Giulietta ! Son io ! » où la largeur de son médium et la puissance de sa projection sont ici particulièrement mises en valeur.
Au piano, Stéphanie Humeau fait bien plus qu’accompagner : dans ces airs et duos écrits pour le théâtre, elle fait entendre, par la parfaite maîtrise de son instrument, les couleurs de tout l’orchestre et favorise ce souffle et cette respiration si nécessaires aux artistes lyriques en récital. Parmi les pièces interprétées au piano seul, on a particulièrement goûté le romantisme de Liszt dans son « Rêve d’amour » et les exquises et impressionnistes nuances du Clair de Lune de Debussy.
On ne serait pas complet en omettant de signaler que la musicologue Marie-Automne Peyregne, dans sa présentation du concert, ne se limite pas au seul côté didactique – malvenu dans cet environnement – mais laisse souvent la place à des citations sur l’Amour – allant de Feydeau à Desproges – qui, par leur côté souvent décapant, achèvent de placer ce programme sous le signe baudelairien de l’enivrement et du temps suspendu.
Chloé Chaume, soprano
Mickael Spadaccini, ténor
Stéphanie Humeau, piano
Concert du 18 juillet 2020
Airs et duos de I Capuleti e i Montecchi, La Traviata, Manon, Roméo et Juliette, Giulietta e Romeo, L’Arlesiana, I Pagliacci, Le Pays du sourire. Pièces pour piano de Chopin, Liszt et Debussy.