L’ensemble Il Caravaggio, dont la création est toute récente, vient de proposer un concert très particulier dans le cadre du festival de Sablé-sur-Sarthe, qui, coronavirus oblige, a été annulé cette année – sauf pour deux concerts donnés sans public mais filmés : le premier permettait d’entendre le Te Deum de Charpentier interprété par le Concert Spirituel sous la direction d’Hervé Niquet (le concert est toujours visible ici ; le second, donné samedi 29 août, était précisément celui du Caravaggio, au cours duquel a été interprété un florilège particulièrement séduisant d’airs sérieux et à boire, de cantates, de pièces instrumentales ou d’extraits d’opéras de compositeurs et compositrices du Grand Siècle : Mademoiselle B…, Nicolas Racot de Grandval, André Campra , François Couperin, Michel Pignolet de Montéclair et Élisabeth Jacquet de La Guerre. C’est ainsi l’esprit des salons français de l’époque que Camille Delaforge, ses musiciens et les trois chanteurs réunis pour l’occasion (Marie Perbost, Anna Reinhold et Thibault de Damas) ont fait revivre l’espace d’une soirée, avec un enthousiasme de tous les instants.
Si les instrumentistes de l’ensemble Il Caravaggio font valoir ici ou là de remarquables talents individuels (le côté âpre et grinçant des cordes traduisant le « bruit sourd et grinçant » qu’entend Procris dans la « tragédie mise en musique » d’ Élisabeth Jacquet de La Guerre, le délicat traverso qui double la voix d’Anna Reinhold dans l’aria « Dove vai, crudo spietato ? » extraite de La mort de Lucrèce de Michel Pignolet de Montéclair), c’est pourtant leur capacité à former un ensemble délicatement équilibré que l’on apprécie avant tout, ainsi que leur capacité à véritablement dialoguer avec les chanteurs, bien plus qu’à simplement les accompagner. Le mérite en revient également à la cheffe Camille Delaforge, qui, de son clavecin, veille constamment à équilibrer les interventions des uns et des autres et à doser les effets de façon à préserver la teneur parfois poétique, parfois comique, parfois dramatique des œuvres interprétées.
Les trois chanteurs font preuve de la même passion et leur amour pour la musique qu’ils interprètent transparaît à chaque instant. Le baryton-basse Thibault de Damas, voix sombre, émission arrogante, campe un Céphale virile et vaillant, à l’aise vocalement jusque dans la ligne ornée de son « Est-il de plus douce victoire ? » du cinquième acte.
Anna Reinhold est particulièrement remarquable dans la longue, dramatique et difficile Morte di Lucrecia, où elle atteint le statut d’une authentique tragédienne : de la noblesse outragée du récitatif initial à la véhémence du « Dove vai, crudo spietato ? », de la lamentation désespérée de l’adagio « Assistetemi, oh Dei » au déchirant adieu à la vie, tout est superbement rendu, avec une économie de moyens, une expressivité et une justesse stylistique admirables.
On retrouve enfin avec plaisir la soprano Marie Perbost (qui nous avait accordé un entretien il y a un an à l’occasion des représentations de Richard Cœur de Lion à Versailles). Son timbre pur et fruité, l’attention qu’elle porte aux mots (la diction gourmande dont elle pare les mots « Chantez tendrement » dans l’air homonyme de Mademoiselle de B…) de même que l’émotion sincère et discrète dont elle se montre capable dans le rôle de Procris en font une interprète particulièrement remarquable dans ce répertoire.
Un concert de grande qualité, donnant notamment envie d’entendre dans son intégralité la tragédie lyrique d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, qui comporte tant de beautés (le cinquième acte, en particulier, est splendide…), et dont on espère qu’il sera bientôt disponible en streaming afin de lui offrir toute la visibilité qu’il mérite.
ENSEMBLE IL CARAVAGGIO
Direction Camille Delaforge
Avec Marie Perbost soprano, Anna Reinhold mezzo-soprano, Thibault de Damas baryton-basse
Fiona Emilie Poupard, Myriam Mahnane violons, Lucas Peres violone, Ronald Martin Alonso viole, Benjamin Narvey théorbe, François Nicolet traverso, Camille Delaforge clavecin
Mademoiselle B…
Airs sérieux et à boire, 1716
Chantez tendrement ma Muzette
Nicolas Racot de Grandval (1676-1753)
Airs sérieux et à boire, 1709
J’ai langui
André Campra (1660-1744)
Airs sérieux, 1709
Ah que mon cœur éprouve une cruelle peine
François Couperin (1668-1733)
La Sultane
Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737)
La morte di Lucrecia
Cantate à une voix et symphonie, 1728
Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729)
Céphale et Procris
Extraits