Académie de l’Opéra de Paris : un concert d’ouverture mozartien
Crédits photos: © Studio J’adore ce que vous faites
Les concerts donnés par les jeunes artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra de Paris sont passionnants à plus d’un titre : ils permettent, en suivant leur travail et leurs progrès, non seulement de mesurer à quel point l’art du chant est difficile (une évidence que l’on oublie parfois, habitués que nous sommes à écouter des artistes confirmés !), mais aussi de découvrir de véritables talents, dont il y a fort à parier qu’ils deviendront prochainement de très beaux artistes. Plusieurs chanteurs ou musiciens de renom (Marianne Crebassa, Aude Extrémo, Ludovic Tézier, Florian Sempey, Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac…) ou dont les carrières sont aujourd’hui bien lancées (le chef Iñaki Encina Oyón, les sopranos Angélique Boudeville et Adriana Gonzalez, Thibaud Epp, aujourd’hui chef de chant à l’Opéra de Nice…) sont d’ailleurs passés dans les murs de cette institution.
Aussi Première Loge suit de près l’actualité de l’Académie, en publiant régulièrement les comptes rendus de ses spectacles, mais aussi en rencontrant d’anciens pensionnaires (Pietro di Bianco, Iñaki Encina Oyón et Adriana Gonzalez,…) ou d’actuels résidents (Timothée Varon).
Disons-le tout de suite, le concert d’ouverture de la saison 2020-2021 est peut-être un des meilleurs proposés par l’Académie auxquels nous avons eu la chance d’assister. L’objectivité du critique nous conduira bien sûr à faire quelques remarques ici ou là sur l’interprétation ou la technique de tel ou tel interprète, mais globalement, le potentiel des artistes entendus nous a paru extrêmement intéressant et le niveau de plusieurs d’entre eux déjà excellent.
Certains, entamant leur troisième ou quatrième année à l’Académie, sont déjà bien connus : Alexander York, Don Giovanni à la crinière léonine, traduit parfaitement la désinvolture et l’entêtement tragique du dissoluto face au châtiment qui l’attend. Timothée Varon exprime une nouvelle fois son bonheur, visible, de chanter et de jouer : Guglielmo s’inscrit parfaitement dans ses cordes et correspond par ailleurs tout à fait à sa personnalité artistique, ce qui lui permet de délivrer un « Non siate ritrosi » drôle mais dépourvu de vulgarité ; son duo avec Dorabella est quant à lui précis, amusant et touchant tout à la fois. Une belle carrière semble désormais pouvoir s’ouvrir à ce jeune baryton, qu’on retrouvera notamment avec plaisir à l’Opéra de Lorraine dans un concert du nouvel an (« Une Nuit parisienne ») aux côtés de la mezzo Fiona McGown.
Marianne Croux, dont on garde le souvenir d’une Manon éblouissante (scène du Cours la Reine au Palais Garnier en janvier 2019) se confronte ici aux rôles de Fordiligi et Elvira. On retrouve sa projection rayonnante, sa grande sensibilité musicale (splendide duo Fordiligi/Ferrando dont les entrelacs vocaux, à la fois délicats et sensuels, sont parfaitement rendus) et une technique déjà excellemment maîtrisée. Là aussi, l’artiste semble prête, dorénavant, à affronter les grands rôles du répertoire !
L’entrée à l’Académie des autres chanteurs entendus ce soir est plus récente puisqu’elle date de 2019, voire 2020 pour certains d’entre eux. Malgré tout, les progrès accomplis par certains d’entre eux sont déjà très sensibles. Ainsi, la voix du contre-ténor Fernando Escalona (Ascanio in Alba) semble avoir gagné en rondeur et en homogénéité entre les registres. Le timbre à la fois tendre et viril de Tobias Westman est quant à lui particulièrement bien adapté au répertoire mozartien : son Ferrando et son Tamino donnent à entendre une ligne vocale châtiée et nuancée, jusque dans les délicates montées vers l’aigu de « Sposo, amante, e più se vuoi » (Cosi) ou « Pamina mein ! O welch ein Glück !» (La Flûte enchantée). L’autre ténor de la soirée, le sud-coréen Ki up Lee, dispose quant à lui d’une projection vocale plus tranchante (impressionnant premier Homme d’armes dans La Flûte !). Peut-être la ligne vocale gagnerait-elle à être plus polie et plus nuancée pour Ottavio – mais il aurait fallu l’entendre dans un des deux airs du personnage pour pouvoir en juger pleinement. Andrea Cueva Molnar est une Pamina sensible mais affirmée. Ramya Roy, qui avait impressionné le public l’an dernier avec une formidable Rosine , se mesure ici à l’aria de Sesto dans La Clémence de Titus (« Parto »). Si les vocalises finales sont chantées à pleine voix et avec une belle assurance, certaines phrases (« Guardami, e tutto oblio,.. ») pourraient sans doute gagner encore en expressivité par une plus grande variété de couleurs… Kseniia Proshina est une très belle Anna, déjà très assurée vocalement, avec un fort potentiel vocal et dramatique. Quant à Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, ses progrès semblent impressionnants depuis que nous l’avons entendue l’an dernier dans son interprétation de l’air de la Reine de Saba (pourtant déjà fort satisfaisante) : rondeur du timbre, projection assurée, finesse de l’interprétation (elle chante l’air « Smanie implacabili » comme un air d’opera seria, ce qui est une option possible, surtout au concert), clarté de l’articulation, sa Dorabella est absolument impeccable !
Un mot enfin sur les toutes dernières recrues, ayant intégré l’Académie… ce mois-ci ! La basse américaine Aaron Pendleton, dispose à coup sûr de moyens impressionnants, mais qui demandent encore à être un peu disciplinés (il est plus à l’aise dans les lignes sobres et hiératiques de l’Homme d’armes qu’en Alfonso de Così)… Le baryton Alexander Ivanov dispose lui aussi d’une voix franche, saine et naturelle, et propose une interprétation à la fois sobre et fort sympathique de Papagano. On ne lui reprochera guère que quelques infimes flottements rythmiques et une prononciation de l’allemand pas encore parfaitement idiomatique. Un artiste prometteur en tout cas ! Enfin, Niall Anderson est un Leporello en tout point étonnant. Drôle mais sans cabotinage, il propose une interprétation déjà extrêmement assurée vocalement et scéniquement. La voix est saine, aisément projetée, habilement colorée : nous espérons pouvoir le réentendre prochainement plus longuement !
Il faut enfin féliciter les musiciens (violons, altos, violoncelles, contrebasse, ainsi que le piano fougueux de Felix Ramos ) dont l’enthousiasme, sous la baguette impliquée de Christopher Vazan, a presque réussi à compenser l’absence de l’orchestre mozartien et des chœurs dans le finale de Don Giovanni, ainsi que les deux pianistes Edward Liddall et Olga Dubynska, rivalisant de musicalité et de précision. Signalons enfin que le spectacle bénéficiait d’une mise en espace sobre et efficace de Pascal Neyron.
Prochains rendez-vous avec les artistes de l’Académie : les 8 octobre (concert Beethoven), 4 novembre (Aperghis) et 26 novembre (Saint-Saëns).
Marianne Croux, Andrea Cueva Molnar, Kseniia Proshina sopranos
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Ramya Roy mezzo-soprano
Fernando Escalona contre-ténor
Ki up Lee, Tobias Westmann ténor
Alexander Ivanov, Timothée Varon, Alexander York barytons
Niall Anderson baryton-basse
Aaron Pendleton basse
Olga Dubynska, Edward Liddall, Felix Ramos, Christopher Vazan pianistes-chefs de chant
Pascal Neyron metteur en espace
Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, jeudi 16 septembre 2020
Extraits de Così fan tutte, Ascanio in Alba, Die Zauberflöte, la Clemenza di Tito, Don Giovanni.