Pour l’ouverture de sa saison 2020-21, la saison musicale des Invalides célèbre les 250 ans de la naissance de Beethoven, en proposant ce jeudi 1er octobre un concert intégralement consacré à ce compositeur, diffusé en direct sur Radio Classique.
La pièce maîtresse du programme est la 7e symphonie de Beethoven. Hasard, ou clin d’œil du chef ? Toujours est-il qu’il est amusant de constater que cette œuvre, créée à Vienne le 8 décembre 1813 en temps de guerre, lors d’un concert de charité donné en soutien aux soldats austro-hongrois et bavarois blessés lors de la récente bataille d’Hanau (octobre 1813) contre Napoléon, résonnera donc ce soir en l’Hôtel national des Invalides, créé par Louis XIV pour accueillir les soldats invalides de ses armées, et plus précisément en la cathédrale Saint Louis des Invalides… soit à deux pas du tombeau de Napoléon !
Le programme initialement prévu devait également comporter la Messe en Ut exécutée par le Chœur de l’Orchestre de Paris, mais les conditions sanitaires ont eu raison du projet. Pour autant, la musique vocale n’est pas absente, puisque nous entendrons également deux pièces de concert du compositeur : l’air « Ah, perfido ! » (1796) et le trio « Tremate, empi tremate » (1803, remanié en 1814), composées alors que le jeune Beethoven prenait des leçons auprès de Salieri.
Beethoven aimait ces pièces vocales, ou, à tout le moins, avait conscience de leur pouvoir de séduction : il a notamment inclus « Ah, perfido ! » dans le concert viennois historique (et gargantuesque : plus de 4h de musique !) du 22 décembre 1808, lors duquel seront créées les cinquième et sixième symphonies ; « Tremate, empi tremate » a quant à lui été inclus dans les programmes de plusieurs concerts de 1814 et jusqu’à sa mort en 1827.
Ce programme révèle, en quelque sorte, la fascination de Beethoven pour la scène : Wagner avait qualifié la septième symphonie d’ « apothéose de la danse » ; mais on sait également que l’opéra, dans lequel Beethoven ne s’est que peu illustré, était un genre qui le fascinait (en témoignent les quelque dix ans consacrés à composer Fidelio). Or dans les pièces vocales programmées ce soir par Alexis Kossenko, l’opéra n’est pas loin : d’aucuns ont souligné qu’« Ah, perfido ! », par sa structure, mais aussi sa progression de l’angoisse et de la désolation vers une confiance affirmée, préfigurait le « Abscheulicher » de Leonore dans Fidelio ; le moins célèbre « Tremate, empi tremate », quant à lui, est un trio faisant interagir des personnages clairement dessinés, dont la situation dramatique (basée sur la jalousie et la tromperie), voire la musique, ne dépareraient pas Les Noces de Mozart. Finalement, proposer dans une même soirée une symphonie rythmique et deux morceaux de bravoure à l’italienne, de facture plus classique, est à la fois profondément cohérent et pédagogique, le concert permettant ainsi d’apprécier les multiples couleurs de la palette du Maître.
C’est « Ah, perfido ! » qui ouvre la soirée, scène autonome comprenant un récitatif (sur un texte de Metastase) et un air en deux parties. On sait gré à la soprano Anara Khassenova de rendre pleinement les émotions contradictoires, la frénésie et le délire d’une femme blessée qui a été trompée par son amant ; le timbre est chaleureux et très frais, et le chant devient particulièrement doux et legato dans l’adagio (magnifique « Per Pietà… »), et la voix embrasse sans difficulté la tessiture étendue requise par l’air.
S’ensuit « Tremate, empi tremate », trio d’une certaine façon dissymétrique puisque les suppliques éplorées de deux amants (la soprano Anara Khassenova et le ténor Christophe Einhorn) doivent faire face au courroux et à la fureur d’un tyran jaloux (le baryton-basse Paul Gay). Le choix de la distribution reflète ici de façon heureuse la psychologie des personnages : Paul Gay, à la voix très saine et parfaitement projetée, emporte indéniablement l’adhésion par la peur qu’il inspire, et n’est pas sans évoquer le courroux du Comte mozartien. Cette colère contraste admirablement avec la fragilité d’Anara Khassenova ; Christophe Einhorn reste quant à lui quelque peu en retrait, le chant étant certes soigné mais la projection un peu limitée, créant un petit déséquilibre lorsque les trois interprètes sont appelés à chanter ensemble. Dans ces deux pages, l’orchestre « Les Ambassadeurs » d’Alexis Kossenko souligne parfaitement la filiation mozartienne et la sobriété du classicisme de l’écriture, tout en mettant en valeur les fulgurances dramatiques, notamment dans l’allegro molto du trio.
La caractéristique première de la 7e symphonie est sans doute son énergie extraordinaire et son inépuisable vie rythmique – les mouvements extrêmes, qui frisent l’ivresse dionysiaque, étant à diriger d’une main de fer. Mais il faut également savoir exprimer la délicatesse et la nostalgie infinies du célèbre deuxième mouvement, lequel rencontra un tel succès à sa création que les musiciens durent le bisser intégralement. Le fougueux Alexis Kossenko s’en tire avec brio : amoureux de cette musique, il sait tirer de l’orchestre « Les Ambassadeurs » toute l’énergie et la fougue nécessaires. Les attaques sont fulgurantes et les contrastes rythmiques, extrêmement précis, font oublier l’acoustique un peu cotonneuse de la cathédrale Saint-Louis. Les cuivres impressionnent particulièrement, produisant des plaintes rauques et quasi humaines…
Le concert se termine en apothéose et reçoit un franc succès du public, certains spectateurs applaudissant debout ; en dépit de la (relative) brièveté de la soirée (covid oblige…), la satisfaction est totale !
Les Ambassadeurs, dir. Alexis Kossenko
Anara Khassenova, soprano
Christophe Einhorn, ténor
Paul Gay, baryton-basse
Aria « Ah ! perfido », opus 65 , pour soprano et orchestre
Terzetto « Tremate, empi tremate », opus.116 , pour soprano, ténor, basse et orchestre
Symphonie n° 7 en la majeur, opus 92
Concert donné jeudi 1er octobre 2020 en la cathédrale Saint Louis des Invalides