Magic Vivaldi au Théâtre des Champs-Élysées
Mettre au programme les plus beaux airs d’opéra de Vivaldi est une promesse de bonheur musical. Choisir la formule d’un récital à quatre est, avec ces solistes-là, une porte ouverte sur la félicité vocale. Faire accompagner les voix par un des plus scintillants ensembles baroques est une véritable assurance sur la perfection instrumentale. Encore faut-il tenir les promesses affichées ! Car tout était réuni pour un moment d’exception – et ce fut le cas.
C’est un sentiment très étrange que de retrouver le Théâtre des Champs Élysées et son public masqué, moins nombreux car plus ou moins distancié (selon on ne sait trop quelle règle). Un public captivé durant tout le spectacle : pas un bruit, pas une toux, ce qui est pour le moins inhabituel en ce lieu. Un public que l’on fait sortir étage par étage, en commençant par le parterre. Mais un public qui prend feu à l’écoute de cette soirée hors du temps, si loin du monde et du bruit.
Julien Chauvin, le violoniste et chef du Concert de la Loge, débuta la soirée par quelques mots disant la joie des artistes d’être là, insistant sur le fait que tous les musiciens n’ont pas cette chance. Chance de jouer, de partager, d’accompagner de tels chanteurs. Immédiatement, le ton était donné par l’ouverture de L’Olimpiade : une déferlante musicale, jouée par dix neufs musiciens étincelants, à l’image du violon de leur chef complice. Quel que soit le répertoire emprunté par Julien Chauvin, on ne cesse d’être ébahi par la clarté si étincelante et virevoltante qu’il tire de son instrument comme par le jeu de tous les pupitres qui semblent tellement unifiés. Cet orchestre vivaldien là ne pratique aucune esbroufe, mais la clarté d’un travail de fond, pensé dans ses moindres détails et inflexions. L’homogénéité des violons (qui jouent debout), l’engagement physique des cordes graves, la présence légère et toujours bienvenue de l’archiluth tout comme le jeu de clavecin subtil et jamais ostentatoire : tout est fait pour construire un précieux écrin aux voix. Cette vitalité de tous les instants sait se faire caresse, confidence lorsque la partition change de couleur.
Ce feu d’artifice n’était pas pour rien dans l’exceptionnelle haute tenue de la soirée. Trois airs étaient confiés à chaque soliste, bénéficiant d’un accompagnement de luxe. Emiliano Gonzalez Toro fut le premier avec un extrait de La fida ninfa. Le ténor se jeta dans la fureur de « Non tempesta… », pris à un rythme infernal, avec une présence et une maîtrise des vocalises qu’il affirma davantage dans ses autres interventions, sa voix s’ouvrant à des couleurs chaudes, particulièrement sensibles dans le registre plus profond de son troisième air issu de La Griselda, « Tu vorresti… ». À chaque fois, il semblait habité par son personnage.
Avec l’air « Sovvente il sole » tiré d’Andromeda liberata, la contralto Lucile Richardot nous entrainait dans une autre dimension, par un climat musical où les harmoniques de sa voix, dialoguant avec le violon stratosphérique de Julien Chauvin, créaient un temps suspendu, dans un souffle qui semblait sans limite. Ces couleurs rauques, fauves, ses graves abyssaux prenaient une tout autre portée dans deux airs d’Ottone in villa, le « Frema pur » étrange et hargneux, puis dans un « Come l’onda… » démonstratif et nuancé à l’infini.
Philippe Jaroussky, en cravate et costume trois pièces, ne joue pas les stars. Il fut le dernier des quatre solistes à se présenter dans un « Vedro con mio diletto » d’Il Giustino où l’on retrouvait d’emblée toutes ses qualités vocales avant un « Gelido in ogni vena » d’anthologie extrait du Farnace.
Au coeur de ce quatuor d’exception, c’est sans doute Emöke Barath, en robe longue dorée et noire, qui fait le plus impression. Par sa présence, sa façon de vivre chaque moment de la partition, par sa voix qui se rie de toutes les vocalises (l’« Alma oppressa » de La fida ninfa est un des moments phares de la soirée), par son timbre qui rend bouleversant le « Vede orgoliosa l’onda » de La Griselda. Impériale !
Vivaldi, terre de contrastes. Il pouvait y avoir un risque de monotonie à faire se succéder airs vifs et lents. Or le choix des partitions et l’engagement d’interprètes, conscients de ce moment précieux, heureux de nous démasquer ces trésors, transforma ce concert en une soirée magique.
Diffusion du concert à ne pas rater le 27 octobre à 20 heures sur France Musique
Pour ce concert, Marc Dumont a bénéficié d’une invitation du Théâtre des Champs-Élysées
Philippe Jaroussky contre-ténor
Emőke Baráth soprano
Lucile Richardot contralto
Emiliano Gonzalez Toro ténor
Le Concert de la Loge : Julien Chauvin, direction et violon
Vivaldi
L’Olimpiade, ouverture – premier mouvement
« Non tempesta che gl’alberi sfronda » , air extrait de La Fida ninfa
« Sovvente il sole », air extrait d’Andromeda liberata
« Armatae face et anguibus », air extrait de Juditha Triumphans
« Vedro », « Il piacere della vendetta », airs extraits de Il Giustino
« Aura placide et serene » , trio extrait de La Verita in cimento
Sinfonia en sol mineur RV 156, Allegro
« Frema pur », air extrait de Ottone in villa
« Care pupille », air extrait de La Candace
« Alma oppressa da sorte crudele », air extrait de La Fida ninfa
« Gelido in ogni vena », air extrait d’Il Farnace
« Come l’onda con voragine orrenda e profunda », air extrait de Ottone in villa
« Vede orgogliosa l’onda », air extrait de La Griselda
« Se in ogni guardo », air extrait d’Orlando finto pazzo