LeGrand écran, musiques de films de Michel Legrand : Vivre c’est une fête !

Les Folies d’O proposent un hommage à Michel Legrand mêlant danse, chant et cinéma.

« Vivre c’est une fête », chante-t-on dans  Les Demoiselles de Rochefort. Au Corum de Montpellier, en horaire avancé pour parer au couvre-feu, le spectacle Grand écran assume pleinement ce slogan Carpe Diem, en dépit du contexte préoccupant de ce 17 octobre. Face à un public ré-enchanté par le spectacle – musique, chant, danse, images de films sur l’écran – le tourbillon Legrand fait tourner la tête aux mélomanes et cinéphiles réunis. Car cette production du festival musical Les Folies d’O est accueillie par le festival Cinémed de Montpellier. L’ouverture du spectacle est d’ailleurs assurée par leurs directeurs respectifs, Jérôme Pillement et Christophe Leparc.

Un spectacle total

Les Folies d’O (département Hérault) ont vu grand pour honorer le compositeur disparu en janvier 2019, à l’âge de 86 ans. Le talent protéiforme de l’artiste de Ménilmontant, formé à la composition classique auprès de Nadia Boulanger, a pris tant de chemins différents ! Sa musique fait jubiler les spectateurs, et, semble-t-il, les artistes sur scène.

Compositeur de chansons françaises (d’Aznavour à Nougaro), jazzman auprès des plus grands (de Davis à Coltrane), arrangeur comme son père et son oncle, Michel Legrand est aussi le talentueux concepteur de la comédie musicale « à la française » avec Jacques Demy.

Présenté par la fraîche Valentine, youtubeuse, le spectacle montpelliérain nous transporte vers l’univers enchanté de Peau d’âne (film de 1970) et se clôture dans les couleurs faussement ingénues des Sixties avec Les Demoiselles de Rochefort (film de 1967). Mais le parcours est plus imaginatif que cela … Grâce à la sélection opérée par la production, sélection judicieusement agencée par le maestro Pillement, la chanson française, la ballade américaine, le tango du James Bond Jamais plus jamais rencontrent le montage vidéo de films-cultes alors que le Cinéméd bat son plein dans les salles du Corum. Et comme la comédie musicale hante le spectacle, les danseurs de l’Opéra du grand Avignon évoluent ponctuellement sur le vaste plateau de l’Opéra Berlioz, dans des chorégraphies décalées signées de Patrice Barthès (associé à la danseuse Audrey Anselmi pour le tango), au pied de l’Orchestre national d’Avignon.

On apprécie d’écouter le Michel Legrand d’outre-Atlantique, parti à la conquête des USA en 1959. Il y devient complice de Miles Davis avant de décrocher 3 Oscars. Ce soir, la chanson oscarisée du film L’Affaire Thomas Crown (Norman Jewisson, 1968), mais aussi celle de The Hunter nous plongent dans l’univers énigmatique des réalisateurs étasuniens.

Les musiques symphoniques répandent le swing, léger dans Les Moulins de mon cœur, percutant dans la course des danseurs-joggeurs (film Le Mans, 1971), langoureux lors des ballades grâce à la direction appropriée du chef et au professionnalisme des musiciens de l’Orchestre d’Avignon, récemment promu « national ». Les ambiances contrastées des morceaux se succèdent sur un tempo toujours calé, les éclairages en revanche, un peu moins …. Le swing c’est aussi celui pulsé par le Quintet jazz Legrand, constitué des musiciens historiques du compositeur. Entourant le podium du chef, ils sont sonorisés pour ressortir de la masse orchestrale : le batteur François Laizeau, pilier de la scène jazz, tient la pulse. L’alternance entre leurs soli ou chorus d’une part (l’inventivité du pianiste, Patrice Peyrieras), les arrangements orchestraux d’autre part (signés de Legrand, de Peyrieras) maintiennent l’intérêt sur plus d’une heure et demi sans entr’acte.

Swinguer en chantant

Marie Oppert
Vincent Heden
Jasmine Roy

Les trois chanteurs sont aussi des « fondus de jazz », puisqu’ ils ont travaillé auprès de Michel Legrand. La personnalité de chacune.cun se déploie au fil de leurs prestations enchaînées. On est envouté par les talents de diseuse de Jasmine Roy, interprète talentueuse du musicals, de Broadway à Paris. Elle joue du velours de son médium, tour à tour séductrice, rocailleuse (pour le scat), toujours coulée dans la pulsation de l’orchestre. N’évoquerait-elle pas Barbara Streisand dans Yentl, film avec lequel Legrand obtint son 3e Oscar ? On est séduit par la virevoltante Marie Oppert, étoile montante de la comédie (récemment interprète de Peau d’Ane au Théâtre Marigny) : elle module ses aigus avec ou sans vibrato. Dans la « Chanson du gâteau » (Peau d’âne), elle distille sa voix cristalline, fleurtant avec les soli de carillon ou de trompette de l’orchestre. Choisi par Legrand pour incarner le Capitaine dans sa création Dreyfus, le chanteur Vincent Heden est apprécié pour la clarté de son timbre et de sa prononciation. Le final de spectacle remet en selle le bonheur de vivre avec les tubes des Demoiselles de Rochefort. « Nous sommes des sœurs jumelles » résonne (entre autres) avec les deux chanteuses de la production, tandis que le Grand écran flashe Françoise Dorléac et Catherine Deneuve, comédiennes à la beauté fougueuse. Nostalgie, nostalgie …

Deux moments de grâce intime surgissent du torrent de musiques swingantes. En l’absence de programme de salle … l’un pourrait être la Lamentation composée par Legrand à Los Angeles pour l’album Dingo de Mile Davis (1992). Dans un éclairage feutré, le solo de trompette avec sourdine (Nicolas Gardel) répand son désespoir avec pudeur, jusqu’à la suspension d’ultimes notes. Tout autour, le collectif de danseurs, quasi nus, crée un halo de chaleur. L’autre est « Cinéma », la chanson-culte de Claude Nougaro, plus identifiée par ses paroles « Sur l’écran noir de mes nuits blanches ». Mariant la musique avec la poésie désabusée des mots, ce moment d’intimité bouleverse. Le seul accompagnement de contrebasse (excellent Pierre Boussaguet), mélodique et expressive dans ses pizz, complète les accents chantés dans une complicité aboutie.

Échanger avec le maestro Jérôme Pillement

À l’issue du spectacle, notre échange avec le maestro Pillement éclaire le succès de la soirée. Le chef d’orchestre, disciple de J.-S. Béreau et de L. Bernstein, dirige dans les maisons européennes d’opéra, de Montpellier à Londres ou à Rome, tout en étant le directeur artistique des Folies d’O et du festival « Un violon sur le sable » à Royan. Dans son activité, il met l’éclectisme des musiques à l’épreuve. Son credo « On ne peut aimer la musique et s’intéresser à un seul style ou genre de musique. Les interprètes de notre temps sont capables de jouer de Bach jusqu’aux musiques actuelles de film. Pour ce concert, il suffit de rentrer dans la culture du Quintet de jazz et de s’écouter. »

À propos de notre question sur l’écriture scholastique maîtrisée dans « Family Fugue » de Legrand, préempté progressivement par le trio jazz, le maestro réagit : « N’oublions pas que Legrand a été formé par Nadia Boulanger, immense pédagogue et compositrice qui a permis à quantité de compositeurs de trouver leur voie au Conservatoire américain de Paris. Et les comédies musicales composées par Legrand sont proches de celles de L. Bernstein (Candide, West side story) et de certains ballets romantiques (Tchaïkovsky). »

Aussi, avons-nous hâte d’écouter les prochaines productions montpelliéraines des Folies d’O : le Quintet Michel Legrand le 18 décembre, et la fameuse comédie de Demy et Legrand, Les Parapluies de Cherbourg, les 22 et 23 décembre.

Pour ce concert, Yseult a bénéficié d’une invitation des Folies d’O.

Les artistes

Artistes chanteurs :

Jasmine Roy

Marie Oppert

Vincent Heden

Artistes du Quintet Michel Legrand :

Patrick Peyrieras (piano), Claude Egea (trompette), Denis Leloup (trombone), Pierre Boussaguet (contrebasse), François Laizeau (batterie)

Orchestre national d’Avignon, direction Jérôme Pillement

Ballet de l’Opéra du grand Avignon, chorégraphe Patrice Barthès.

Vidéos de Luc Riolon

Le programme
LeGrand écran, musiques de films de Michel Legrand : « Vivre c’est une fête ! »

Production : Les Folies d’O

Montpellier, Opéra Berlioz (Corum), le 17 octobre 2020