Partenaire incontournable de la redécouverte du répertoire français romantique – au sens large –, le Palazzetto Bru Zane prépare une nouvelle gravure de Phryné de Saint-Saëns, en cette année du centenaire de la mort du compositeur. Anticipées au début du printemps pour parer aux éventuelles complications liées à l’incertitude épidémique, les séances d’enregistrement se tiennent à l’Opéra de Rouen du 31 mars au 2 avril, avec l’orchestre de l’institution normande et le chœur du Concert Spirituel, placés sous la direction d’Hervé Niquet – et des contraintes accrues quant aux distances sanitaires.
Créé salle Favart en 1893 avec un succès qui ne s’est jamais démenti jusqu’à la Première Guerre Mondiale, l’opéra-comique en deux actes Phryné a été révisé en 1909, substituant des récitatifs de Messager aux alexandrins parlés d’Augé de Lassus. Tandis que l’on a quelques témoignages discographiques de la mouture originelle, il semble que cette adaptation n’ait jamais été jouée, selon Alexandre Dratwicki, le directeur artistique du Palazzetto Bru Zane. Ainsi ce projet discographique ferait-il résonner pour la première fois cet avatar de 1909, qui fait passer la partition de quarante-cinq minutes à une heure dix, sans sacrifier une note du maître – les puristes ne pourront arguer que l’on a avantagé le disciple. Si l’on perd le charme ironique des alexandrins, qui jouent avec les effets de rimes et d’hémistiche, le travail subtil de Messager, qui fut élève de Saint-Saëns, manipule habilement le réseau de motifs qui parcourt l’ouvrage, distillant une indéniable gourmandise dramaturgique et comique – une authentique filiation créatrice. Les récitatifs palliant heureusement l’obstacle qu’une prosodie déclamatoire un peu surannée pourrait opposer aux interprètes d’aujourd’hui, Bru Zane ne désespère pas de faciliter le retour sur scène de Phryné.
Axées sur les intervention des chœurs, les séances du mercredi après-midi permettent de mesurer l’orfèvrerie de l’écriture – plus que deviner les difficultés induites par l’hétérogénéité des parties séparées, en l’absence de représentations recensées : elles concernent en particulier les enchaînements des pupitres instrumentaux dans les récitatifs. Le final du premier acte offre un exemple de savante alchimie entre le rire et la musique. Le chef français Hervé Niquet s’attache à privilégier le caractère à la joliesse, avec un souci de la précision dans la diction, propre à souligner le relief de la scène moquant l’archonte Dicéphile, dont Thomas Dollié restitue l’autorité ridicule. Si les ensembles ne laissent qu’une tribune limitée aux solistes, du moins peut-on reconnaître le métier ciselé de Cyrille Dubois en Nicias, avec une clarté dans le timbre qui nourrit un lyrisme sensible et agile, quand Florie Valiquette, authentique soprano léger, possède à n’en pas douter les ressources pour faire vivre une Phryné vivante et spirituelle.
Avec une parution prévue en 2022 dans la très belle collection Opéra français éditée par le label Bru Zane, cette Phryné devrait être donnée en concert à l’Auditorium du Louvre le 24 juin et à Rouen le 3 juillet 2021, dans le cadre du huitième édition du festival du Palazzetto Bru Zane du 8 juin au 1er juillet prochains, consacrée, commémoration oblige, à Saint-Saëns. L’occasion de redécouvrir l’œuvre de l’auteur de Samson et Dalila : les annonces faites par le Président de la République ce mercredi soir, laissant présager une réouverture progressive des lieux culturels à partir de la mi-mai, autorisent quelques espoirs…
Phryné. Parution dans la collection Opéra français du label Bru Zane prévue en 2022. Concert à l’Auditorium du Louvre le 24 juin 2021 et à l’Opéra de Rouen le 3 juillet 2021
Phryné Florie Valiquette
Lampito Anaïs Constans
Nicias Cyrille Dubois
Dicéphile Thomas Dolié
Agoragine/ Le héraut Patrick Bolleire
Cinalopex François Rougier
Orchestre de l’Opéra de Rouen, le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet
Enregistrement de Phryné de Saint-Saëns à l’Opéra de Rouen, le mercredi 31 mars 2021.