Crédits photos : © Klara Beck
Comme nombre d’opus du genre opera seria, les quasi quatre heures – avec entractes – que dure Alcina de Haendel étaient incompatibles avec une vie économique et sociale à peu près normale balisée par un couvre-feu à 21 heures. Aussi, Alain Perroux et l’Opéra national du Rhin ont-ils opté pour une version abrégée en concert légèrement scénographiée. La sélection d’airs – une vingtaine, sur les quarante-quatre numéros que compte l’ouvrage – tient compte non seulement des équilibres dramatiques entre les rôles, et des incontournables moments de bravoure, vaillants ou intimes, mais aussi, peut-être, des choix de la mise en scène de Serena Sinigaglia initialement programmée – étrennée à Nancy pour une seule représentation le 11 mars 2020, avant la fermeture précipitée des salles au public, pour les causes sanitaires que l’on sait – et qui avait maintenu le petit rôle d’Oberto, souvent sacrifié.
Pour compenser la suppression des récitatifs, à l’exception de deux ou trois attaca qui font presque partie intégrante des arie qu’ils préparent, un monologue narratif aux allures d’adresse à Alcina a été commandée à Louis Geisler – ce dernier a signé, il y a quelques années, avec l’actuel directeur de l’Opéra national du Rhin, un ouvrage pour les soixante-dix ans du Festival d’Aix-en-Provence. Déclamé de manière calibrée pour éviter tout risque de larsen par Jean-François Martin, le texte, fonctionnel, se glisse habilement dans le point de vue moral, voire moralisateur, sous-jacent au livret inspiré de l’Arioste, avec un récit qui laisse affleurer dans sa conclusion le ressac de mélancolie au moment de la libération des sortilèges – perceptible dans un intermède orchestral non repris ici et qui refermait la production de Carsen à l’Opéra national de Paris.
Réparti sur la seconde partie du plateau, l’Orchestre symphonique de Mulhouse se départ de toute épaisseur symphonique, témoignant que l’orthodoxie baroque n’est plus exclusivement réservée aux ensembles spécialisés. Expert dans ce répertoire, Christopher Moulds, qui assume également les éléments de continuo au clavecin, privilégie une diététique de timbres et de dynamique que l’on pourrait qualifier de britanniques, où l’horlogerie des rythmes et des sentiments ne laisse que peu de place aux élans plus sanguins.
Cette approche précise, qui ne s’abandonne pas aux débordements déplacés d’une sensualité romantique, se confirme dans une distribution vocale cohérente du point de vue stylistique, peu versée dans les ivresses des arrières-mondes d’une émission en fond de gorge. Dans le rôle-titre, Ana Durlovski résume un trouble amoureux galbé dans un grain discrètement frémissant mais sans épaisseur inutile. La musicalité de ses da capo se retrouve dans ceux du Ruggiero de Diana Haller, à la couleur homogène qui s’épanouit dans la vigueur chasseresse de « Sta nell’ircana pietrosa tana », comme dans ceux de la Morgana d’Elena Sancho Pereg, dont le babil souple et légèrement acidulé est sans doute le plus immédiatement séduisant de tout le cast. Marina Viotti condense l’ambiguïté androgyne de Bradamante dans un monochrome maîtrisé, entre prudence et investissement. Tristan Blanchet défend le ténor clair d’Oronte, tandis que le Melisso parfaitement équilibré d’Arnaud Richard ne confond jamais autorité et pesanteur. Quant à Oberto, son intervention revient à une Clara Guillon d’une appréciable limpidité juvénile, et complète le plateau d’une réouverture intelligemment adaptée aux contraintes actuelles.
Alcina Ana Durlovski
Morgana Elena Sancho Pereg
Ruggiero Diana Haller
Bradamante Marina Viotti
Oronte Tristan Blanchet
Melisso Arnaud Richard
Oberto Clara Guillon
Récitant Jean-François Martin
Orchestre symphonique de Mulhouse, dir. Christopher Moulds
Alcina
Dramma per musica en trois actes de George Frideric Händel, livret d’après Antonio Fanzaglia, créé le 16 avril 1735 au Royal Theatre, Covent Garden (Londres).
Opéra national du Rhin, jeudi 27 mai 2021