Crédit photos : © Marie Pétry
Après le long silence des salles et des fosses induit par la crise sanitaire, l’Opéra de Tours rouvre ses portes avec un festival concocté spécialement pour l’occasion, du 19 mai au 10 juillet, palliant – et pas seulement – l’annulation du calendrier initial, et qui trouve son climax dans le gala lyrique dirigé par Hervé Niquet.
Après le long silence des salles et des fosses induit par la crise sanitaire, l’Opéra de Tours rouvre ses portes avec un festival concocté spécialement pour l’occasion, du 19 mai au 10 juillet, palliant – et pas seulement – l’annulation du calendrier initial, et qui trouve son climax dans le gala lyrique dirigé par Hervé Niquet. Placé sous le signe de la musique romantique française, et le soutien du Palazetto Bru Zane, partenaire désormais incontournable dans la redécouverte de joyaux oubliés de notre patrimoine, le concert s’inscrit par ailleurs parfaitement dans la ligne artistique du nouveau direction de l’institution tourangelle, Laurent Campellone, qui entend faire de la maison une intercesseure privilégiée de la musique française.
À la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val-de Loire-Tours, Hervé Niquet conjugue la vitalité de la baguette avec le pétillement gourmand d’un maître de cérémonie qui emmène les musiciens et les six solistes dans un savoureux voyage parsemé de curiosités délicieuses et surprenantes. L’embarquement se fait avec une désinvolture jouée, laissant les pupitres faire éclater la vigueur de l’intermède Les chasseresses tiré du ballet Sylvia de Delibes, aux cuivres pastichant avec brio le wagnérisme. Les six pages suivantes pallient le report à la prochaine saison de la résurrection de La caravane du Caire de Grétry, initialement prévue pour cette fin de printemps. Du premier acte, le duo « Malgré la fortune cruelle » réunit le babil souriant et fruité de Florie Valiquette à un Mathias Vidal attentif au caractère du rôle, avant l’air « Ne suis-je pas aussi captive ? » défendu avec un juste sentiment par Chantal Santon-Jeffrey. Extraite de l’acte II, la mélopée « C’est la triste monotonie » est servie par la clarté expressive d’Enguerrand de Hys, quand Douglas Williams impose une robustesse authentiquement chantante dans le vigoureux « Oui toujours j’aimais la France ». À l’acte III, Marie Perbost donne un bel exemple de sensibilité dramatique avec « J’abjure la haine cruelle », avant un final enlevé et nécessairement heureux, selon les codes de l’époque – « Rien n’égale mon bonheur ».
Hervé Niquet met en évidence un sens du contraste, voire de la facétie, en enchaînant avec la fanfare de John Philip Sousa, The stars and stripes forever, jouée avec une franchise aussi irrésistible que le concerto pour orchestre et machine à écrire, The typewriter de Leroy Anderson, immortalisé au cinéma par Jerry Lewis. La cantilène pastorale « Sous le feuillage sombre », tirée de Lalla Roukh de Félicien David, palpite d’une mélancolie tendre et délicate grâce à Marie Perbost. Enguerrand de Hys rend justice à une mélodie de Massenet, Pensée de printemps, avec fraîcheur et naturel. L’air de la Corilla, de Vert-Vert d’Offenbach, permet à Chantal Santon-Jeffrey de laisser s’épanouir une virtuosité aussi vocale que théâtrale, n’hésitant pas à minauder les effets parodiques. Si le « Scintille diamant » du Dapertutto, dont Douglas William restitue la rondeur quasi envoûtante, compte parmi les pages les plus célèbres de l’auteur des Contes d’Hoffmann, la valse de Rosita, dans Un mari à la porte, appartient à ces perles légères et brillantes hélas trop méconnues, et que Florie Valiquette fait revivre de manière savoureuse. Pour ce qui est des trésors cachés, le récit et rondeau de Florival dans Une folie de Méhul justifie le jugement de Berlioz sur son aîné par le raffinement de l’orchestration comme de la mélodie, et Mathias Vidal n’est pas le moins investi pour rendre lisible le chant autant qu’Hervé Niquet les couleurs inspirées de l’instrumentation.
Dans un arrangement de Capelletti, le chef français ne se dérobe pas au pari de pousser la chansonnette dans le «On a l’béguin » entonné par Célestin dans L’Auberge du cheval blanc, avec une gouaille experte et calibrée, et une intégrité vocale indéniable. Autre pépite majeure de la soirée, un duo du Lancelot de Victorin Joncières : Marie Perbost et Mathias Vidal donnent un magnifique et fascinant aperçu de cette parfaite synthèse de Wagner et Massenet que l’on a hâte de redécouvrir en mai 2022 à l’Opéra de Saint-Étienne. L’entracte et barcarolle de l’acte de Giuletta des Contes d’Hoffmann est rendu avec un évident équilibre par Marie Perbost et Chantal Santon-Jeffrey, quand Mathias Vidal et Enguerrand de Hys se font les porte-parole alertes des couplets des petits valets de Maître Péronilla du même Offenbach, dont le final enlevé de La Vie parisienne, après la polka Unter Donner und Blitz de Strauss en guise d’intermède, referme ce feu d’artifice musical d’une heure et demie qui signe une réouverture festive à l’Opéra de Tours, où les cotillons sont d’autant plus réjouissants que les redécouvertes ont fait saliver la curiosité du mélomane. Avec des titres inconnus, la prise de risque est d’abord une prise de plaisir : avis aux programmateurs…
Marie Perbost : soprano
Chantal Santon-Jeffrey : soprano
Florie Valiquette : soprano
Enguerrand de Hys : ténor
Mathias Vidal : soprano
Douglas Williams : baryton-basse
Orchestre Symphonique Région Centre-Val-de Loire-Tours, dir. Hervé Niquet
Extraits d’opéras
Léo Delibes, Sylvia (1876)
André Grétry, La Caravane du Caire (1783)
Félicien David, Lalla-Roukh (1862)
Georges Bizet, Les Pêcheurs de perles (1863)
Jacques Offenbach, Un Mari à la porte (1859),
Contes d’Hoffman (1881),
Vert-Vert (1869),
Maître Péronilla (1878)
Etienne Méhul, Une Folie (1802)
Ralph Benatzky, L’Auberge du cheval blanc (1930)
Victorien Joncières, Lancelot (1900)
Et des œuvres de Johann Strauss, Jules Massenet, John Philip Sousa, Leroy Anderson…