Depuis plusieurs années désormais, les grands festivals de piano ne cessent d’élargir leur répertoire, en particulier au jazz. Mais aucun n’est sans doute allé aussi loin dans l’ouverture au-delà des limites du clavier que le Lille Piano(s) Festival, en particulier depuis qu’Alexandre Bloch en a pris la direction artistique, en même temps que celle de l’Orchestre national de Lille, en septembre 2016. Cette édition 2021, après une année de pandémie, en témoigne avec une variété inédite de programmes. On retrouve évidemment les grands rendez-vous pianistiques, à l’exemple de l’ouverture avec la phalange lilloise et Lucas Debargue dans un dialogue entre Ligeti et Prokofiev. Mais la composition même des récitals des grands noms d’aujourd’hui et de demain illustre ce désir de sortir des cadres préétablis. Le dimanche 20, sur la scène du Conservatoire, Mikhaïl Bouzine, lauréat du Concours d’Orléans en 2020, élabore, entre le Mazzeppa de Loewe et celui de Liszt, une intelligente mise en miroir narrative de grandes pages du Romantisme avec des pièces contemporaines, tandis que Pierre-Laurent Aimard tisse sur le plateau du Nouveau Siècle une rencontre de Mozart et Beethoven avec Carter et Benjamin sous le signe de la forme fantaisie, dans une synthèse admirable entre sensibilité et didactisme, comme sait le faire le soliste français.
Dans ce débordement des cadres et des répertoires, on retrouve la voix, sans céder à la tentation académique du lied et de la mélodie. Ainsi, samedi après-midi, avec Miroirs étendus, Elsa Dreisig navigue entre Brahms et Cage en passant par Korngold et Weill. C’est le même ensemble, également au Conservatoire, que l’on retrouve le dimanche 20 à 16 heures, aux côtés de la jeune et prometteuse soprano Cyrielle Ndjiki Nya dans les Wesendonck-Lieder de Wagner adaptés pour ensemble sonorisé et électronique par Othman Louati, redoublant le halo onirique du cycle du compositeur allemand. Le résultat peut susciter quelques réserves, mettant parfois au second plan la précision du phrasé instrumental, bien plus éloquent dans la réduction chambriste de Triple concerto de Beethoven emmenée par le violon de Fiona Monbet. L’on saluera cependant la clarté de l’émission de la soprano française, d’un beau format lyrique, à l’éclat souple et naturel, et à contre-pied d’évanescences brumeuses que l’on peut attendre dans les lieder wagnériens.
Enfin, le choeur n’est pas oublié. Le Jeune choeur des Hauts-de-France accompagne l’orgue de Denis Comtet en la Cathédrale Notre-Dame de la Treille le samedi. Mais c’est surtout la clôture dans l’auditorium du Nouveau Siècle que l’on retiendra, avec la Fantaisie chorale en do mineur opus 80 de Beethoven, après un Vingt-troisième de Mozart délicat, voire un peu trop retenu, sous les doigts de Cédric Tiberghien. Sous la baguette de Jean-Claude Casadesus, l’Orchestre de Picardie accompagne avec vigilance la marche vers la lumière beethovénienne complétée par l’élan du Chœur régional des Hauts-de-France, préparé par Eric Deltour. Si ce que l’on peut voir comme un prototype au carrefour de Fidelio et de la Neuvième Symphonie n’est pas exempt de simplifications, il n’en reste pas moins que cela constitue une magistrale conclusion où les accords du piano et ceux de la voix se rejoignent pour une authentique jubilation musicale. Il ne saurait y avoir de meilleur symbole pour une évasion du piano hors des limites du clavier. Le pari de Lille Piano(s) Festival est réussi.
Fiona Monbet : direction et violon
Ensemble Miroirs étendus
Cyrielle Ndjiki Nya : soprano
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Jean-Claude Casadesus : direction musicale
Orchestre de Picardie / Chœur régional des Hauts-de-France
Cédric Tiberghien : piano