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Aux côtés des raretés rossiniennes, avec cette année Elisabetta, regina d’Inghilterra, le Festival de Bad Wildbad aime également exhumer des partitions oubliées de l’époque du bel canto. Ainsi, cette édition 2021 redonne-t-elle, pour la première fois depuis le dix-neuvième siècle, Le Philtre d’Auber, créé en 1831 à l’Académie royale de musique – l’Opéra de Paris – et qui a connu un succès certain, avec près de deux cent cinquante représentations en trente ans, avant de tomber dans l’oubli.
L’argument du livret de Scribe, collaborateur régulier du compositeur français depuis 1822, a connu une fortune plus durable dans sa reprise sous la plume de Romani pour L’elisir d’amore de Donizetti. Si dans ce dernier l’évolution psychologique des personnages se fait plus subtile, le prototype de Scribe s’attache essentiellement aux situations d’une pastorale dont l’esprit peut remonter au Devin de village de Rousseau : pour s’assurer l’amour de la coquette Térézine, le fermier Guillaume va demander conseil au charlatan Fontanarose, qui lui vendra du vin pour philtre d’amour, aux effets aussi inattendus que l’héritage d’un oncle en faveur du pauvre paysan. Certes, avec ses effets de mise en abyme – au début, Térézine lit l’histoire du philtre de Tristan et Yseult, qui donnera des idées à l’ignorance de Guillaume –, le texte se montre astucieux, et la partition d’Auber ne manque pas d’une certaine fluidité mélodique. Mais l’écriture et l’orchestration s’avèrent plus d’une fois assez prévisibles, et la dramaturgie un peu rudimentaire ne tire pas toujours parti des ressources des renversements de situation – sans compter des récitatifs d’une plate fonctionnalité.
Alternant avec les représentations d’Elisabetta, regina d’Inghilterra, où il incarne Leicester, Patrick Kabongo incarne un Guillaume sensible, dont il s’attache à faire valoir d’intéressantes nuances dans le sentiment, jusqu’à esquisser à l’occasion une discrète ironie suggérant une inflexion rusée derrière la naïveté nigaude. Après une première partie un peu en retrait où l’on perçoit une certaine fatigue, la voix retrouve une lumière et des couleurs qui s’épanouissent dans le second finale. Luiza Faytol lui donne la réplique en Térézine avec une diction presque aussi irréprochable que celle du ténor français. Au-delà des minauderies en partie appelées par le personnage, la soprano roumaine libère progressivement son émission au fil de la soirée en même temps que la sincérité de la jeune coquette. En Joli-Coeur, le vaillant Emmanuel Franco impose une vigueur hâbleuse en parfaite synchronie avec la fatuité matamore du militaire, qui compense la constance dans l’exotisme aléatoire de la prononciation vocalique. On retrouve les écueils de l’allophone dans le robuste Fontanarose d’Eugenio Di Lieto, au sfumato consonantique qui tente de se dissimuler habilement sous la rondeur benoîte de la basse italienne, idéale pour ce rôle de bonimenteur vaguement escroc. Membre de l’Akademie BelCanto, Adina Vilichi séduit par la douceur juvénile de sa Jeannette, qui contraste avec justesse avec la Térézine plus altière de Luiza Faytol.
Préparé par Marcin Wrobel, le Chœur Philharmonique de Cracovie assume efficacement les réactions et les commentaires de la foule villageoise. À la tête de l’Orchestre philharmonique de Cracovie, Luciano Acocella, qui a dû avancer l’entracte avant le finale du premier acte à cause de la réverbération de la pluie sur la Offene Halle Marienruhe, accompagne avec attention le plateau et fait respirer la vitalité d’une partition plaisante, à l’intérêt d’abord documentaire, et qui aurait peut-être gagné à être confiée à un plateau maîtrisant le français. On ne reprochera jamais la curiosité à un festival : c’est une louable prise de risque qui ne préjuge jamais du retour – ou pas – d’une œuvre au répertoire.
Guillaume Patrick Kabongo
Joli-Cœur Emmanuel Franco
Fontanarose Eugenio Di Lieto
Térézine Luiza Fatyol
Jeannette Adina Vilichi
Chœur Gemister, Chœur et Orchestre Philharmoniques de Cracovie, dir. Luciano Acocella
Le Philtre
Opéra en deux actes de Daniel-François-Esprit Auber, llivret d’Eugène Scribe, créé à l’Académie royale de musique (salle Le Peletier) le 20 juin 1831
Festival de Bad Wildbad, concert du 15 juillet 2021. Autre concert le 24 juillet 2021.
2 commentaires
Le Philtre avait été proposé dans une version avec piano en 2014 dans une mise en espace d’Yves Coudray et joué dans le foyer le l’opéra de Marseille avec, notamment, Roxane Chalard et Anas Seguin…
Merci pour cette information !