Au cœur de la riche programmation du Festival Les Nuits de la Citadelle de Sisteron, le 20 juillet 2021 était le jour où l’on pouvait entendre de la musique jouée au diapason 415, avec des cordes en boyau et en tempérament inégal : de la musique baroque, en somme. Christophe Rousset a réuni pour l’occasion tous les instruments anciens de son pupitre de cordes, dans une formation où, donc, seuls les pupitres n’étaient pas d’époque ; et les musiciens, sans doute, aussi — merci pour eux. C’est donc (situation sanitaire oblige) masqués, comme des justiciers du baroque historiquement informés, que l’ensemble nous a proposé un programme très spécifique autour des lamentations de la Vierge. Ont cohabité durant cette heure de concert des oratorios des différentes écoles italiennes, depuis la Rome du xviie siècle (Luigi Rossi) à la Venise du xviiie siècle (Antonio Caldara), jusqu’à une incursion dans la Londres italianophile de Haendel. Un programme sans excès belcantiste, et où la rigueur vocale devait donc avant tout se manifester dans la maîtrise des affetti ; ce que Monteverdi nommait les « passions contraires à mettre en musique ».
© Bertrand Pichene
Pour incarner les différentes Madonne, les Talens Lyriques ont invité Ambroisine Bré, mezzo-soprano à la voix large et vibrante – ce qui finit de nous persuader que le temps des interprétations baroques aux voix discrètes et droites est heureusement révolu. La palette vocale permise par la voix lyrique d’Ambroisine Bré était en effet très bienvenue dans ce répertoire où mille nuances sont nécessaires. La conduite vocale exemplaire de la mezzo était ainsi au service de la tradition doloriste qui était au cœur du concert. On comprend alors l’intention de Christophe Rousset qui décidément sait choisir ses invités. La technique vocale de la chanteuse s’est montrée particulièrement convaincante lors des nombreux passages pianissimo des partitions, où elle nous offrait à chaque fois des nuances dignes d’une Montserrat Caballé (avec le goût baroque en plus, bien évidemment). Les gruppi et les trilli des fins de phrases étaient en outre toujours maîtrisés et à chaque fois nouveaux : aucune cadence n’était réalisée de la même façon, ce qui démontre la connaissance de la chanteuse pour ces ficta propres à la musique ancienne. Quelques ombres à ce tableau néanmoins très convaincant : la plupart des aigus manquaient de générosité, car trop serrés par une technique méritant peut-être une meilleure élasticité des registres. Enfin, le stile concitato des récitatifs (les passages rapidement déclamés évoquant un « cœur guerrier » selon la théorisation que Monteverdi en a faite) a manqué de précision, non pas tant dans l’articulation que dans la gestion des valeurs de notes ; encore une fois, un problème d’élasticité. La chanteuse s’est toutefois montrée beaucoup plus à l’aise dans le récitatif haendelien que dans le recitar cantando du xviie siècle.
Que dire de l’orchestre soutenant déjà un rendu sonore solide ? Il est toujours intéressant d’entendre Christophe Rousset choisir des tempi inédits par rapports aux interprétations du marché. De même, son installation claviériste était fort ingénieuse : en superposant orgue et clavecin l’un sur l’autre, les récitatifs se sont vus enrichis de deux ambiances alternant soudainement selon les besoins du texte. Ce fut donc un moyen efficace de sonoriser les contrastes propres aux passions baroques. Si Rousset donne en outre toujours l’impression que son clavecin peut faire des nuances, les dynamiques générales de l’orchestres étaient de grande qualité, d’autant plus si l’on tient compte du fait que l’exécution musicale prenait place dans un lieu si acoustiquement hostile qu’une cathédrale. Outre les arie, ses dynamiques se manifestaient particulièrement au sein des récits accompagnés, par des modes de jeu parfaitement sound-designés.
Si le concert a fait le choix insolite de se terminer par un récitatif (encourageant toutefois les applaudissements par sa coda en forme d’orage ramiste), le rappel a fait appel à une page évidente pour conclure un concert de cette teneur : un extrait du Stabat Mater de Pergolesi, figure non moindre de la Mater dolorosa.
Ambroisine Bré mezzo-soprano
Les Talens Lyrique, dir. Christophe Rousset
Œuvres de Rossi, Monteverdi, Perti, Vinci, Caldara et Ferrandini
Concert du 20 juillet 2021 –Sisteron – Cathédrale Notre-Dame des Pommiers