Soirée « Chaplin » aux Chorégies : le bonheur ne prend jamais de rides !
Crédit photos : © Roy Export SAS
Réitérant sa judicieuse initiative de 2018 « Fantasia-Disney », l’édition 2021 des Chorégies d’Orange prend des couleurs hollywoodiennes en projetant devant Auguste (et un public ravi !) Le Kid précédé, comme il se doit, d’un court métrage,Charlot patine.
Rires (gros !) et Larmes (quelques…) dans un théâtre antique sous le charme de Charlot
En sortant de cette projection « XXL », Jean-Louis Grinda s’émerveillait à juste titre que, cent ans tout juste après sa sortie triomphale aux Etats-Unis, The Kid, tout comme d’ailleurs The Rink (Charlot patine), court-métrage de 1916, faisaient rire les spectateurs aux éclats – et sans doute aussi essuyer quelques larmes – aux mêmes instants. Ne serait-ce pas là aussi la magie du septième art ?
Il faut dire qu’en affichant Le Kid, les programmateurs sont sur de la valeur sûre ! Premier long-métrage de Charlie Chaplin, accueilli triomphalement dès sa sortie en salle, ce film est, on le sait, l’un des meilleurs de l’âge du muet. Au-delà des gags d’anthologie dont il est truffé (la combine de Charlot vitrier ambulant proposant ses services pour réparer des fenêtres que casse préalablement à coup de pierres son fils adoptif, les tentatives qui suivent pour échapper au policier qui s’est aperçu de la combine…), les visages de Jackie Coogan (le kid) et d’Edna Purviance (la mère), l’une des partenaires préférées de Chaplin sur 35 films, n’ont pas pris une ride et nous touchent toujours autant. C’est peut-être ici que la musique remplit un rôle fondamental car elle n’a pas son pareil pour mettre en lumière non seulement des scènes d’ensemble (par exemple, le rêve de Charlot d’un Paradis peuplé d’anges) mais aussi des scènes plus intimistes, volontiers naturalistes voire véristes (la relation entre Charlot et « son » enfant, la rencontre entre le gamin et sa mère…).
Une partition originale de belle facture
Que Chaplin soit un génie, c’est une affaire entendue depuis plus d’un siècle. Totalement autodidacte en matière musicale, passionné de « grande » musique comme de la musique populaire de son temps, Chaplin apprend à jouer seul de divers instruments (piano, violon, violoncelle) et compose la plupart des bande-sons de ses films à partir des Lumières de la Ville (1931). Comme il ne sait pas lire ni écrire de partitions, il sait s’entourer des grands noms de la musique de film qui peuplent alors les studios de « l’usine à rêves » mais demeure totalement le moteur des idées et le compositeur des mélodies que d’autres développeront ensuite sur le papier. Non content de se limiter à la musique de ses nouveaux opus, Chaplin remet sur le métier les films antérieurs aux Lumières de la Ville et donne ainsi au Kid la partition indispensable à sa magnifique facture. Comme c’est souvent le cas chez les grands compositeurs d’Hollywood, les citations musicales de musiciens dits « sérieux » sont fréquentes et font le bonheur de l’auditeur averti. On pense, pour prendre un seul exemple, aux influences de Richard Strauss sur les somptueuses partitions pour le grand écran d’un Erich Wolfgang Korngold. Ici, c’est vers Tchaïkovsky (un autre grand pourvoyeur de ces temps bénis !) que lorgne Chaplin, utilisant avec originalité le thème déchirant de la marche funèbre, extrait du dernier mouvement de la Symphonie « Pathétique ».
Pour que le miracle opère, devant tant d’yeux écarquillés, en particulier ceux des très jeunes spectateurs qui sont nombreux ce soir-là dans le théâtre antique, il fallait une grande formation orchestrale pouvant dégager toute la puissance à la fois burlesque et mélodramatique de cette musique. Dirigé par Debora Waldman, sa dynamique directrice musicale – qui débutait pour l’occasion aux Chorégies – avec toute la rigueur stylistique et l’amour qui s’imposent pour cette partition, l’Orchestre national Avignon-Provence effectue un parcours sans faute et parvient, sans jamais aucun décalage avec l’écran, à démontrer le lien étroit que les grandes partitions de musique de film ont su entretenir avec l’image dans l’Hollywood de l’âge d’or.
Afin de restituer pleinement une atmosphère de projection cinématographique pouvant évoquer ces temps bénis de l’industrie du rêve, il était indispensable de lancer cette soirée par la projection d’un court-métrage avec piano dans la salle.
The rink (Charlot patine), un petit chef-d’œuvre de rythme et un grand réservoir de bonne humeur !
Disons-le d’emblée : nous découvrions personnellement ce court-métrage, le huitième tourné par Chaplin, et nous avons été stupéfait par le rythme que le réalisateur et acteur principal parvient à insuffler au film, sans aucun temps mort, pendant quelques 25 minutes !
Ici, l’objectif est de faire rire le public sans discontinuer et on demeure bluffé par l’enchainement ahurissant de gags depuis le restaurant où Charlot est employé comme serveur (sa préparation d’un cocktail dans les premières minutes du film est déjà un morceau d’anthologie !) jusqu’à son entrée fracassante dans la patinoire, où il va se mesurer à Eric Campbell, acteur burlesque colossal du cinéma muet (il mesurait près de 2 m !). Avec son maquillage épais, volontairement exagéré à la demande de Chaplin lui-même qui règle évidemment son jeu de scène, Eric Campbell marqua profondément le style des premiers films de Charlot et il est particulièrement émouvant de voir ce comédien, à la carrière météoritique, dans les dimensions grandioses – et à son niveau – du théâtre antique.
Les improvisations pianistiques de Kira Parfeevets
© Paulin Reynard
La notion de « Silent movie » pour désigner le genre du cinéma muet est, on le sait, impropre car jamais le cinéma n’a existé dans le silence ! Des formations orchestrales ou des solistes (piano, violon) ont toujours accompagné les projections, interprétant des partitions à programme ou se lançant dans des improvisations. C’est en fait l’avènement du cinéma sonore qui va reléguer la musique au second plan, sauf évidemment dans les comédies musicales filmées…
C’est dire combien on a pu goûter sans réserve la prestation de Kira Parfeevets au clavier avec sa succession d’improvisations lors de cette première partie de soirée !
On connaissait et admirait déjà le talent de la pianiste répétitrice, coach vocal et linguistique de nombre de spectacles vus sur de grandes scènes nationales, et on avait également entrevu, l’été dernier, l’étendue du talent de l’accompagnatrice lors de la tournée du spectacle « Le soleil de Naples » consacré à la mélodie napolitaine. On découvre, ce soir, une autre facette de Kira Parfeevets : l’improvisation sur image filmée.
Accomplissant un exercice d’équilibriste particulièrement exposé et périlleux, le pianiste des salles obscures de l’âge d’or du muet devait être l’accompagnateur voire l’initiateur des émotions du public grâce aux sonorités d’un instrument omni-présent. On peut évidemment imaginer combien les meilleurs de ces interprètes, aux heures de musique à jamais oubliées, ont dû utiliser toute une batterie de mélodies empruntées à la musique légère, à l’Opéra, à la musique symphonique et aux chansons à la mode…
En cela le parcours polyvalent de Kira Parfeevets fait d’elle l’accompagnatrice de rêve pour ce court-métrage. Pendant donc quelques 25 minutes, avec un plaisir particulièrement palpable et partagé par le public, la pianiste égrène et fait se succéder, dans une ligne rythmique épousant parfaitement la cadence des images sur l’écran, des thèmes – qui deviendront à l’occasion leitmotivs – extraits, entre autres, d’œuvres de Bizet, Donizetti, Verdi mais aussi Christiné («Les petits modèles » de Phi-Phi, l’opérette phare des « Années folles , sont particulièrement bienvenus !).
Plus qu’une mise en bouche au « grand film », un aperçu fugace et idéal d’un temps perdu mais, ici, bel et bien retrouvé.
Orchestre national Avignon-Provence, direction : Debora Waldman
Piano, Kira Parfeevets
Première partie : The rink (Charlot patine), court-métrage écrit et réalisé par Charlie Chaplin (1916) avec accompagnement improvisé au piano
Deuxième partie : The Kid, film écrit et réalisé par Charlie Chaplin (1921). Musique : Charlie Chaplin et Piotr Illitch Tchaïkovski (Symphonie n° 6 dite « Pathétique »)
Théâtre antique d’Orange, mardi 27 juillet 2021.