Crédit photos : © François Zuidberg
Après une première soirée sous le signe du grand motet versaillais, les Rencontres musicales de Vézelay font resplendir deux visages de la polyphonie française. L’après-midi, en l’Église Saint-Germain de Vault-de-Lugny, remarquable pour sa fresque de treize peintures murales du milieu du seizième siècle, ce sont des vétérans du répertoire Renaissance que l’on retrouve. Sous la houlette de Dominique Visse, son directeur musical, l’Ensemble Clément Janequin offre un florilège d’une vingtaine de chansons de Josquin Desprez, croisant la production sacrée et profane de l’un des compositeurs les plus célèbres de son temps, autour de l’une de ses plus pages les plus diffusées, Mille regretz de vous habandonner. Les genres et les formats alternent habilement, évitant ainsi le risque de monotonie, même pour les auditeurs plus novices. La précision dans l’étagement des tessitures et la savoureuse caractérisation chantée des textes par les six solistes de l’ensemble, accompagnés par le luth d’Eric Bellocq ou l’orgue de Sébastien Wonner, pallie les relatives difficultés de la prononciation à l’ancienne quant à l’immédiate l’intelligence des mots, et sert l’authenticité dans la juxtaposition contrastée des registres.
En soirée, à la Basilique Sainte Marie-Madeleine, Léo Warynski et Les Métaboles nous invitent à un saut de quelques siècles et dévoilent leur nouveau programme, Singing Ravel, autour de transcriptions chorales de pages du compositeur français, qui, en traduisant les chatoiements de l’écriture orchestrale sur des poèmes de la littérature ou en amplifiant le spectre vocal d’une mélodie, en donnent un éclairage inédit. Le spicilège prolonge l’aventure initiée avec l’enregistrement Jardin féerique, paru en mars 2020, juste avant le confinement. Au-delà de la virtuosité du travail de réécriture, c’est aussi un sens remarquable de la narration musicale que distille Léo Warynski et ses chanteurs, dans un condensé du cisèlement et d’une pureté de l’intonation jamais aseptisée qui fait la marque de fabrique de l’ensemble français depuis plus d’une décennie.
Le concert s’ouvre sur une nouvelle transcription, due à Thibault Perrine, de la Pavane pour une infante défunte, qui, sur un poème de la Renaissance, de Thoinot Arbeau, Belle qui tiens ma vie, dévoile une douceur élégiaque dans d’albes teintes où rayonne une polyphonie décantée. Adaptée par Thierry Machuel sur un texte contemporain de Benoît Richter, dont on retrouve la plume dans Le jardin féerique, autre numéro du cycle Ma mère l’Oye, la Pavane de la belle au bois dormant, s’appuie sur un délicat solo augural de soprano avant un étoffement soyeux du choeur, dont les nuances souples et lumineuses servent le lyrisme sobre du Jardin féerique. Gérard Pesson propose ensuite une version de Ronsard à son âme où la science musicale s’affirme avec une diaphane délicatesse.
Tiré des Trois poèmes de Mallarmé, Soupir, revu par Clytus Gottwald, part d’un bourdon nimbé dans un halo pour moduler une discrète et subtile mélancolie, tandis que l’extrait de l’Enfant et les sortilèges, Toi, le cœur de la rose, sur le livret de Colette, adapté par le même auteur, respire un équilibre rompu par un malaise subit dans les effectifs, heureusement sans incidence grave, ni pour la chanteuse, ni pour le reste du programme.
Entièrement de la main de Ravel lui-même, les Trois chansons pour choeur a cappella témoignent d’un remarquable sens du récit, et de ses ellipses implicites. Si Nicolette a l’allure d’une comptine, Trois beaux oiseaux du Paradis prend la forme d’une complainte distillant une saisissante et pudique évocation de la guerre, tressée en filigrane sur les couleurs du drapeau national – le recueil est écrit en 1914-1915. Quant à la Ronde, la vélocité de ses phrases et de ses énumérations façonnent une ivresse tourbillonnante magnifiée par une précision des accents qui fait mousser l’écume des mots.
Les vers de Verlaine de La vallée des cloches résonnent, par la transcription de Clytus Gottwald, de manière très suggestive, avec des ondulations à même la matière sonore sur un ground évocateur. Tirés du cycle Shéhérazade, que Ravel composa sur des poèmes de Tristan Klingsor, pseudonyme dont l’influence wagnérienne n’est pas à démontrer, La flûte enchantée et L’indifférent font chatoyer le verbe et les tessitures.
Enfin, avec un effectif au grand complet, la transcription du Boléro réalisée par Thibault Perrin, et donné en première mondiale à Vézelay, comme celle de la Pavane pour une infante défunte qui inaugurait la soirée, referme ce voyage ravélien sur une virtuosité qui, sur des onomatopées exigeant une endurance redoutable, restitue avec une fidélité sidérante la gradation des timbres et des dynamiques de la partition orchestrale, de la clarinette basse initiale jusqu’aux moires du célesta, en passant par le motorisme des percussions. La performance de la transsubstantiation vocale est telle que la dernière partie de ce Boléro version chorale est reprise en deuxième bis, après la Pavane pour une infante défunte, constituant en même temps un hommage au remarquable talent de Thibault Perrine. En résidence à la Cité musicale de Metz, les Métaboles redonneront ce Singing Ravel le 30 janvier prochain dans la salle de l’Arsenal, invitant à une éclairage acoustique renouvelé.
Ensemble Clément Janequin :
Dominique Visse : haute-contre et direction musicale
Anaïs Bertrand : alto
Hugues Primard : ténor
Martial Pauliat : ténor
Vincent Bouchot : baryton
Renaud Delaigue : basse
Les Métaboles, dir. Léo Warynski
Œuvres de Josquin Desprez et Maurice Ravel.
Rencontres musicales de Vézelay, Concerts du 20 août 2021, Église Saint-Germain de Vault-de-Lugny et Basilique Sainte Marie-Madeleine.