La morte d’Orfeo de Stefano Landi : Orphée ressuscité
La morte d’Orfeo de Stefano Landi
par les étudiants du Département de Musique Ancienne du CRR
La morte d’Orfeo de Stefano Landi est une œuvre malheureusement trop oubliée, éclipsée par l’Orfeo de Claudio Monteverdi, voire l’Euridice de Jacopo Peri. Pourtant, sa musique, son dramatisme en font une partition bouleversante.
Un opéra ? Une tragicomedia pastorale en cinq actes et une grande heure et demi de musique, Landi a choisi de nous faire vivre la suite de l’histoire que raconte l’opéra de Monteverdi – comme ceux, plus tardifs, de Rossi ou de Gluck. Il s’agit donc ici de la mort du poète, fils d’Apollon et de Calliope, déchiqueté par les Ménades jalouses de sa fidélité à son Eurydice perdue.
C’est cet opéra de 1619 que proposait, ce vendredi 17 septembre, la classe de chant baroque de Stéphane Fuget dans la belle salle du Conservatoire de Paris – et c’est bien ce qui redoublait l’intérêt de la soirée. Le chef dirigeait de son clavecin cinq autres instrumentistes (une formation intime avec viole, luth, violons et un second clavecin) et neuf jeunes chanteurs, interprétant chacun plusieurs rôles.
Un travail d’étudiants ? Sans doute, mais avec des musiciens plus que prometteurs, avec un souci de la caractérisation autant théâtrale que musicale. Au quatrième acte l’intervention de Mathilde Pajot, l’interprète de Fileno, la messagère annonçant la terrible mort d’Orphée à sa mère. fut sans doute le moment le plus émouvant d’une soirée de très haute tenue. Il faut dire que Stéphane Fuget installe d’emblée une tension musicale qui ne faiblit jamais, source de drame et d’émotion. Son travail de fond sur la déclamation, basé sur des années de pratique instrumentale, de recherches organologiques et de réflexion très approfondie sur le récitatif, débouche sur des interprétations remarquables. C’est le cas des concerts proposés avec son ensemble « Les Épopées » au Festival de Beaune, particulièrement remarqué en juillet dernier, comme avec l’Orchestre de l’Opéra Royal au Château de Versailles ; c’est le cas de ses enregistrements (les motets de Lully, ou bientôt Le Couronnement de Poppée de Monteverdi) ou lors de son Festival dans l’Yonne où fut d’ailleurs donnée il y a quelques semaines, la première représentation de cette Morte d’Orfeo.
Il est d’autant plus passionnant d’entrer dans le laboratoire de son travail, car là, au département de musique ancienne du CRR, Stéphane Fuget anime la classe, unique en France, d’opéra baroque. Grâce à la confiance et à la liberté que lui donne son responsable, Jean-Christophe Revel, il y mène ses élèves vers une formation artistique pointue, exigeante où le texte est magnifié. Dans ce parlar cantando cher à Monteverdi ou Landi, il donne clairement le ton : « Prima le parole », sans bien sûr aucunement sacrifier la musique.
Ainsi, depuis plusieurs années, l’ancien claveciniste et chef de chant des Talens Lyriques de Christophe Rousset monte avec ses classes plusieurs opéras allant de Péri et Monteverdi à Grétry (Le Jugement de Midas [1]), de Marin Marais (Ariane et Bacchus) à Haendel (Semele). À chaque fois, ce travail enthousiasme. C’est l’engagement, l’élan et l’investissement de chaque musicien qui interpellent, ainsi que l’énergie et l’attention pointue que porte le chef à la ligne géné]rale comme au moindre détail, à la moindre inflexion des partitions. C’est bien ce qui s’entendait dans l’interprétation de cette si rare et si poignante Morte d’Orfeo de Landi [2]. Aux racines de l’excellence.
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[1] Un des airs de La fausse magie est à retrouver ici par Marie Perbost.
[2] Un enregistrement fut publié en 2006 par Zig-Zag Territoires, avec l’Ensemble Akadêmia de Françoise Lasserre et les voix de Cyril Auvity, Guillemette Laurens, Dominique Visse, Damien Guillon, Aurore Bucher et Jan van Elsacker.
Orfeo : Loïc Paulin
Fato, Ebro, Caronte, Giove : Alexandre Adra
Aurore, Furore, Euridice : Lily Aymonino
Teti, Nisa, Mercurio : Océane Deweirder
Lincastro, Calliope : Magda Maftei
Ireno, Fileno : Mathilde Pajot
Bacco : Clara Pertuy
Apolline : Lisandro Pelegrina
Fosforo, Nunzio del ciel : Kumi Sakamoto
Aude Béard : violon
Sépideh Nikoukar : violon
Agnès Boissonnot-Guilbault : basse de viole
Léo Brunet : théorbe
Nora Dargazanli : clavecin, orgue, chef de chant
Stéphane Fuget : clavecin, direction
La morte d’Orfeo
Tragicomedia pastorale en 5 actes de Stefano Landi, livret du compositerur, d’après La Favola d’Orfeo (Angelo Poliziano 1484). Œuvre composée en 1619, date de création inconnue.
Auditorium du Conservatoire Régional de Paris, vendredi 17 septembre 2021.