Crédit photos : © Rémi Angeli
Bien sûr, il y a la performance musicale et vocale, remarquable : les quelque 30 chanteurs qui composent le chœur de La tempête font preuve d’une versatilité exceptionnelle, capables d’aborder avec le même bonheur la musique baroque, le romantisme allemand, la création contemporaine… ou le répertoire russe du début du XXe siècle, comme en témoigne le concert donné ce samedi 16 octobre en l’église Saint-Julien de Tours. L’exploit n’est pas mince, tant les Vêpres de Rachmaninov sont exigeantes stylistiquement et techniquement : l’écriture y est tantôt simple, limpide voire austère, tantôt ornée de vocalises jubilatoires ; les extrêmes des tessitures (celles des basses notamment, qui doivent impérativement posséder un extrême grave solide !) sont plus d’une fois sollicités ; on y entend des chœurs à 7, 8 voire 11 voix ; l’écriture musicale verticale y alterne avec des formes d’écritures contrapuntiques… Les choristes surmontent ces difficultés avec une aisance d’autant plus étonnante qu’ils sont souvent en mouvement, déambulant dans tout l’espace offert par l’église (disparaissant même parfois de la vue des spectateurs), la partition en mains éclairée par une simple liseuse ! Mais ce ne sont pas les prouesses techniques que l’on retiendra de ce concert, ni même la grande beauté des voix, pourtant réelle (en particulier chez les sopranos, d’une belle homogénéité et dotées de voix pures). En tout cas pas seulement…
« Notre projet vise à recréer un rituel imaginaire, mêlant les Vêpres de Rachmaninov aux chants byzantins orthodoxes, et se déployant aussi dans l’utilisation totale de l’espace par les chanteurs, proposant ainsi un voyage intense dans une des plus grandes œuvres de l’art vocal », déclare Simon-Pierre Bestion sur le site de la compagnie La tempête dont il est le directeur artistique. (Concernant le chant byzantin orthodoxe, il faut signaler les splendides interventions d’Adrian Sîrbu, tantôt pleines de recueillement, tantôt empreintes d’une ferveur communicative).
Et de fait, c’est bien à une sorte de rituel que le public a l’impression d’assister. Un rituel qui transcende de loin la seule musique et qui, au-delà des croyances ou convictions de chacun, donne le sentiment exaltant de tutoyer le Sacré. Pour ce faire, différents procédés sont mis en œuvre, au premier rang desquels figurent certains effets de spatialisation visuelle et sonore. Les choristes déambulent lentement, se regroupent sur ou autour de l’estrade en une sorte de communion spirituelle et musicale, forment des petits groupes dans le chœur, le narthex ou dans les bas-côtés… Cette spatialisation multiplie nécessairement les sources sonores, le chant surprenant l’oreille du spectateur par ses provenances variées, parfois inattendues, sans pour autant créer le moindre effet de théâtralité. Au contraire, l’impression produite est celle d’être cerné par, ou immergé dans le divin. L’éclairage extrêmement tamisé (sauf à la toute fin du concert, où les lumières des projecteurs évoquent l’éclairage vacillant des flammes de bougies) participe du recueillement général dans lequel est plongé le public, d’une attention et d’une qualité d’écoute exceptionnelles.
Un public qui, à la fin du concert, se lève spontanément, conscient d’avoir vécu un moment privilégié, et noie les artistes sous un flot d’applaudissements.
Adrian Sirbu soliste pour le chant byzantin
Édouard Monjanel, ténor
Mathilde Gatouillat, alto
La Tempête, dir. Simon-Pierre Bestion
Lumières : Marianne Pelcerf
Sergueï Rachmaninov
Vigiles nocturnes op. 37 (Vêpres)
Liturgie de Saint Jean Chrysostome op. 41 (extraits)
Hymnes de la liturgie grecque orthodoxe byzantine
Église Saint-Julien (Tours) concert du 16 octobre 2021