Humour, fantaisie et poésie au programme du TCE avec l’opéra de Leoš Janáček, distillés par une distribution de très grande qualité.
Assistance clairsemée mais fervente hier soir au Théâtre des Champs Elysées. Ce n’était que La Petite Renarde Rusée de Leoš Janáček, opéra en trois actes de 1924 qui n’a rien pour attirer les lyricomanes accros au bel canto ou à l’aria da capo mais constitue un petit bijou dans son genre. Et, pour continuer à piller nos grands auteurs, ce fut pour moi comme un ravissement.
J’avais le souvenir d’une production magique et pleine de poésie au Châtelet (c’était dans l’autre siècle) qui magnifiait le message apaisant de cette œuvre d’une philosophie mélancolique et il a sans doute biaisé ma réception de l’œuvre hier soir. Pourtant il s’agissait plus d’une mise en espace de l’opéra, donné sans entracte, que de sa version scénique, avec sur scène la gigantesque phalange du City of Birmingham Symphony Orchestra, le Chœur de Radio France dans le lointain, et les solistes à l’avant-scène. Mais dès les premières mesures du prélude j’ai été embarqué par cette œuvre à la fois délicate et puissante, avec des bouffées de sensualité, des motifs envoutants à faire pâlir Richard Strauss de jalousie, des rythmes de danse et des épisodes de mystère et de violence comparables à ceux de la Sinfonietta du compositeur. C’est vraiment une œuvre où le coloris orchestral prime sur la ligne vocale et la jeune Mirga Gražinyté-Tyla a su rendre justice à ses climats changeant grâce à une direction souple et précise et une gestique fluide. Mon seul bémol, c’est que cette masse orchestrale couvrait parfois les enfants de la Holy Trinity Catholic School of Birmingham dans leurs rôles d’animaux de la forêt, surtout dans le premier tableau.
Le programme n’indiquait pas de nom de metteur en scène mais le dispositif scénique se plaisait à souligner les parallèles entre les animaux et les humains que tisse cette fable panthéiste, qui rejoint à bien des égards des classiques de la littérature enfantine anglaise comme The Wind in the Willows. D’où un art de la litote et de belles images, comme celle de la mort de la Renarde, couverte de pétales roses, et l’absence du fusil, remplacé par un bâton et des gestes éloquents. La magie est venue des solistes, que ce soit les enfants ou les adultes, et de leur engagement total d’acteur à faire « comme si ».
On ne sort pas de cet opéra en sifflotant un de ses motifs et les grandes effusions lyriques y sont rares. Mais cette partition agit comme un philtre « feel good » puissant et elle recèle des moments de pure virtuosité vocale, comme le récit de sa vie de la Renarde au Renard, ou de grâce, comme le dialogue entre ces deux amoureux ou le dernier soliloque du Garde-Chasse extasié. Au sein de ce plateau vocal excellent et homogène, avec Elizabeth Cragg, (la Poule / le Geai) et Ella Taylor, (le Coq / la Femme de l’Aubergiste) sopranos, Kitty Whately (le Chien/la Femme du Garde-Chasse/ la Chouette / le Pivert), mezzo, et le ténor Robert Murray (le Maître d’école / le Moustique / l’Aubergiste), superbe en amoureux évincé, il faut distinguer les principaux. William Thomas, baryton au timbre noir et rond dans le triple rôle du Blaireau, du Curé et du Braconnier Harasta ; Angela Brower, mezzo-soprano lumineuse, dans celui du Renard ; Roland Wood, baryton au grain de voix tranchant, notre Garde-Chasse philosophe et surtout l’héroïne, Elena Tsallagova, soprano au charme piquant, à l’abattage et aux talents d’actrice affirmés. Tous ont œuvré à construire la magie de l’ensemble et à susciter l’adhésion du public qui les a longuement applaudis.
La Renarde Elena Tsallagova
Le Garde-Chasse Roland Wood
Le Renard Angela Brower
La Poule / le Geai Elizabeth Cragg
Le Coq / la Femme de l’Aubergiste Ella Taylor
Le Chien/la Femme du Garde-Chasse/ la Chouette/ le Pivert Kitty Whately
Le Maître d’école / le Moustique / l’Aubergiste Robert Murray
Le Blaireau, le Curé, le Braconnier William Thomas
Enfants de la Holy Trinity Catholic School of Birmingham
City of Birmingham Symphony Orchestra
Chœur de Radio France
Direction Mirga Gražinyté-Tyla
La Petite Renarde Rusée
Opéra en trois actes de Leoš Janáček (1924), sur un livret du compositeur d’après le roman homonyme de Rudolf Tesnohlidek
Production Théâtre des Champs Elysées
Mercredi 24 novembre 2021, 19h30