Retour à Tipasa : un hommage bien mérité à Henri Tomasi!
Théâtre National de Nice
Dans la torpeur ambiante qui aura marqué cette année 2021, l’anniversaire des 50 ans de la disparition d’Henri Tomasi, malgré des publications, hommages et concerts conduits partout à travers le monde, n’aura pas totalement pris l’ampleur qui aurait pu – dû – être la sienne.
Lumière et méditerranéité
« Corse né à Marseille et, inséparablement, marseillais d’origine corse » comme l’écrit Claude Tomasi, son fils unique, dans l’émouvante biographie qu’il a consacrée à son père Henri Tomasi, un idéal méditerranéen (écrite en 2008 sous le pseudonyme de Michel Solis), Henri Tomasi (1901-1971), aimait avant tout à s’affirmer méditerranéen.
Pourtant, ne nous-y trompons pas, 50 ans après sa mort, la production musicale de ce compositeur hors-norme ne se limite pas à quelques pages orchestrales et lyriques fleurant bon le régionalisme corso-provençal, l’orientalisme voire une certaine mystique humaniste… Malgré toute leur importance et l’amour que l’on peut avoir à l’écoute d’œuvres telles que les Chants de Cyrnos, la Sinfonietta provençale, les Chants laotiens et autres Fanfares liturgiques, elles ne peuvent être totalement appréhendées qu’à travers leur inscription dans une trajectoire où les dénominateurs communs sont la lumière (sans « L » majuscule surtout !) – des thèmes mais aussi de la palette orchestrale – le lyrisme et une méditerranéité davantage espace de rencontres que simple référence géographique.
Un bilan d’année commémorative particulièrement riche
En se rendant sur le site officiel de l’association des amis d’Henri Tomasi, on peut constater qu’au 1er octobre 2021, 18 pays ont rendu hommage à sa musique mais que c’est bien heureusement la France, avec quelque soixante manifestations – de plus ou moins grande envergure – qui est en tête de pont ! Outre un colloque international organisé, en mai dernier, par l’IREMUS – Institut de Recherche en Musicologie – à la Sorbonne et la réalisation de 2 films (un court-métrage réalisé par des élèves du collège de Biguglia, Corse, et un second film de Paul Rognoni pour FR3-Corse), c’est la sortie de 4 CD en 1ère mondiale qui constitue peut-être l’évènement le plus intéressant de cette fin d’année Tomasi. En effet, l’intégrale des œuvres pour violon interprétée par Stéphanie Moraly et Vincent David avec l’Orchestre de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard, le Concerto pour trompette dans sa version intégrale d’origine interprété par l’Orchestre Philharmonique de Stockholm dirigé par Fabien Gabel avec Hakan Hardenberger en soliste, le Trio à cordes par le Black Oak Ensemble et, enfin, le Concerto pour saxophone dans un arrangement pour 9 saxos par l’Ensemble Saxo Voce devraient être dans les bacs fin 2021 ou début 2022.
Côté musique vivante, on aura pu entendre cette année certaines pièces trop rarement programmées, en particulier le Concerto pour violon à Mulhouse avec l’OSM dirigé par Jacques Lacombe et avec Elsa Grether en soliste et le sublime Trio à cordes par le Black Oak Ensemble (diffusé en direct sur You Tube depuis Chicago le 21 juin dernier et réécoutable ici). C’est cependant le versant lyrique du « continent » Tomasi qui manque à l’appel ! Pourtant, Le Silence de la mer, drame lyrique en un acte pour baryton et orchestre – d’après la célèbre nouvelle de Vercors publiée clandestinement en 1942 – œuvre passionnante à laquelle il faudrait consacrer un article entier, aura été donné 7 fois en version de concert, en particulier à l’Opéra de Vichy avec le baryton Marc Scoffoni (Mahlerian Camerata dirigé par Benjamin Garzia), mais également à Miramas, Corte et Biguglia avec des musiciens de différents conservatoires provençaux dirigés par Jean-Philippe Dambreville, enfin à Montreuil-sur-mer et Paris par l’Ensemble Euphonie Musica Nigella sous la direction de Takénori Nemoto. Il est regrettable que la version de concert donnée à l’Opéra de Marseille, avec l’orchestre philharmonique dirigé par la cheffe Clelia Cafiero, soit totalement passée inaperçue ! Nous aurions été ravis de pouvoir en dire probablement le plus grand bien !
Enfin, une des œuvres les plus emblématiques du Tomasi de la dernière décennie (1959-1971), et donc d’une période au cours de laquelle le compositeur, rejoignant complètement certains des engagements humanistes de son temps, donne à entendre un langage musical régénéré, aura pu, enfin, être (re)mise dans la lumière : Retour à Tipasa.
La vibrante lumière de Retour à Tipasa
Donnée 3 fois en région parisienne (Saint-Denis, Montreuil, Stains) par l’Orchestre Divertimento et l’ensemble vocal Soli-Tutti, la programmation de Retour à Tipasa dans la saison de l’Orchestre Philharmonique de Nice, était particulièrement attendue. Nice, en effet, comme Marseille et Monaco, font partie de ces villes où les œuvres de Tomasi – et ses opéras en particulier ! – ont été programmés et il y avait un bel enjeu pour l’Opéra en collaboration avec le théâtre national de Nice à présenter cette cantate pour récitant, chœur d’hommes et orchestre, où musique et texte (extrait de l’un des essais qui composent L’Eté d’Albert Camus) fusionnent en une magnifique osmose.
Retour à Tipasa (1966) n’est pas une œuvre simple à interpréter – ni à réciter! – et demande une préparation rigoureuse puisqu’en un peu plus de 14 min., orchestre, chœur et récitant doivent créer une ambiance faisant passer l’auditeur d’un climat de nature tout d’abord inquiétante (pluie incessante et mouillant jusqu’à la mer boursouflée elle-même, montagne du Chenoua…) puis de tyrannie et d’écroulement d’un monde où le soleil semble s’être arrêté, à une nature où la lumière se fait jour puis triomphe, où les chants d’oiseaux résonnent à nouveau et où, la nostalgie du voyage de retour passée, l’ancienne beauté du lieu renaît et la vraie vie reprend ses droits : « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ».
Musicalement d’abord traduit par la lancinante répétition d’un motif hypnotique – tonal mais minimaliste ! – et par les incantations courtes, et d’abord à bouche fermée, du chœur, l’œuvre procède par ambiances sonores successives pouvant, par exemple, être mises en valeur par le timbre du saxophone ténor, du cor ou du hautbois. Le jaillissement final de la « vibrante lumière » est confié au chœur d’hommes, chantant alors ample, et à l’orchestre au complet.
On connait le goût du lyrisme du chef Frédéric Deloche auquel était confiée l’exécution à laquelle nous avons assisté à Nice. Bénéficiant d’une phalange attentive à ses intentions, et dont il connait bien les divers pupitres, le maestro sait construire un discours musical fait des superpositions de contrastes indispensables, laissant aussi souvent que nécessité par la partition le champ libre à la narration. Confiée au jeune comédien de la troupe permanente du TNN, Augustin Bouchacourt, celle-ci est abordée avec une voix claire dans une approche faisant abstraction de toute dimension tragique pour n’en laisser apparaître que le côté diurne, ce qui est une option possible compte tenu de la grande liberté esthétique laissée par Tomasi par rapport au texte de Camus, plus pessimiste. Il revient au chœur, que l’on aurait pu souhaiter plus précis dans certaines de ses attaques, d’entonner, à la manière d’un choral, cet hymne de louange à la lumière, climax d’une œuvre entièrement dédiée à l’universalité du message humaniste de Camus et de Tomasi.
Si l’année Tomasi n’est pas encore totalement terminée et pourra donc s’enorgueillir d’un très honorable bilan, un manque est néanmoins à souligner : aucune (re)création théâtrale dans une maison d’opéra de l’hexagone et notamment pas celle de L’Éloge de la folie (ère nucléaire), dernier ouvrage lyrique d’Henri Tomasi (1965) sur un texte original de Daniel Mesguich, d’après Erasme. Mesdames et messieurs les directrices et directeurs de Maisons lyriques, à vos programmations : cette œuvre en vaut vraiment la peine !
Le narrateur : Augustin Bouchacourt
Chœur d’hommes de l’Opéra de Nice Côte d’Azur, direction : Giulio Magnanini
Orchestre Philharmonique de Nice, direction : Frédéric Deloche
Retour à Tipasa
Cantate profane pour récitant, chœur d’hommes et orchestre, créée le 25 avril 1985 à Marseille
Musique : Henri Tomasi
D’après l’essai d’Albert Camus, L’Eté (1954)
Théâtre National de Nice, concert du mercredi 24 novembre 2021, 20h00
Découvrez Retour à Tipasa avec l’Orchestre philharmonique et le chœur de l’Opéra de Marseille dirigés par Patrick Davin et avec Daniel Mesguich en récitant :