Remercions ironiquement le ou la Covid d’avoir empêché Cecilia Bartoli et Les Musiciens du Prince – Monaco de se rendre au Concertgebouw d’Amsterdam. Même date, même programme mais autre lieu et, comme un Noël avant l’heure, l’Opéra de Bordeaux a ainsi pu offrir au public un magnifique concert impromptu, doux avant-goût du paradis.
Le paradis, c’est évidemment Cecilia Bartoli qui nous y conduit et nous y reviendrons. Mais, le premier bonheur quand on se rend aux concerts en ce moment, c’est surtout de se trouver parmi un public très nombreux et d’y croiser avec plaisir quelques profanes au fameux rituel. Voilà peut-être de quoi rassurer notre rédacteur en chef, Stéphane Lelièvre, qui s’interrogeait dans son éditorial du mois de décembre (à retrouver ici), à propos du remplissage des salles .
Alors, comment remplir une salle plus de 1400 places en moins de 3 jours en réussissant à attirer un public nouveau ? Telle la recette du cake d’amour de Peau d’Âne, l’Opéra de Bordeaux semble disposer d’ingrédients alléchants et imparables. Nous avons cru y reconnaître une petite dose d’effet Minkowski, une généreuse louche de communication efficace, une once ou deux d’attractivité pécuniaire (même si 60 euros restent une somme), un programme alléchant et une star telle, que l’affubler d’un quelconque adjectif ne saurait décrire ce moment hors du temps, cette incroyable ovation saluant son entrée en scène alors qu’aucune note n’a encore été chantée.
Certains sont donc là pour découvrir une salle dans laquelle ils n’ont jamais osé entrer, d’autres se sont dit que voir et entendre Cécilia Bartoli à ce prix, c’est quand même inratable et les fans de la diva seraient venus de toutes façons, pour n’importe quel programme et peut-être également à n’importe quel prix.
Le programme est pourtant de ceux qui peuvent convaincre le plus grand nombre. Pas de rareté, mais quelques perles de la musique baroque comme le Stabat Mater de Pergolese et autres pages célèbres de Vivaldi, Haendel et Marcello. Il revient au contre-ténor Carlo Vistoli le lourd honneur d’ouvrir la marche musicale de ce concert. Dans le motet « Clarae stellae, scintillate », d’Antonio Vivaldi, il trouve à déployer une technique superlative à laquelle vocalises, ornementations et autres notes piquées et demi-teintes ne sauraient résister. L’expression est également au rendez-vous et on perçoit déjà qu’il ne sera pas qu’un simple faire valoir à la célèbre mezzo-soprano romaine.
Ovation, donc, à l’arrivée de Cecilia Bartoli sur scène et moments d’intense poésie musicale lors de ces deux airs concertants que sont le « Domine Deus » du Gloria en Ré Majeur de Vivaldi et « What passion cannot music raise and quell ! » extrait de l’Ode for St Cecilia’s Day de Haendel. La complicité de l’hautboïste Pier Luigi Fabretti et du violoncelliste Robin Michael avec la diva est telle que leurs dialogues musicaux révèlent une alchimie musicale exaltante.
Pierre Luigi Fabretti excellera également dans un Concerto en do mineur d’Alessandro Marcello. Sa maitrise du souffle et sa virtuosité y font merveille dans un Adagio superbement phrasé et un Presto final habilement négocié.
Cécilia Bartoli et le contre-ténor Carlo Vistoli se retrouvent pour un Stabat Mater de Pergolese emprunt d’intériorité mais non dépourvu d’expressionnisme vocal. Quelques effets marqués conduiront même le public à applaudir après certains mouvements. La scène tragique d’une mère pleurant la mort de son fils n’en demandait sûrement pas tant mais comment bouder son plaisir devant deux artistes rivalisant ainsi de virtuosité, de longueurs de souffles, de nuances et de tempéraments ? Dans les duos, leurs couleurs vocales parfois proches donnent souvent l’impression d’entendre l’expression d’une seule voix alors que leurs airs respectifs sont l’occasion de briller en atteignant souvent au sublime et en éclairant le drame qui se joue d’une lumière parfois crue mais à l’intensité prenante.
Associons à cette réussite Les Musiciens du Prince – Monaco et leur chef Gianluca Capuano qui se révèleront, tout au long de cette soirée, des partenaires attentifs et inventifs à l’implication constante.
Magnifique succès public et artistique que ce concert couronné par trois bis qui réussissent à surpasser encore le plaisir déjà atteint.
Cecilia Bartoli partage avec le public un “Lascia la spina cogli la rosa » magique de couleurs et d’émotions. Carlo Vistoli sera également d’une profondeur d’expression poignante dans un « Cum dederit » extrait du Nisi Dominus de Vivaldi à la douleur palpable. Duo final en apothésose que cet Amen de la cantate « Tilge, Höchster, meine Sünden » de Jean-Sébastien Bach, œuvre d’un Cantor plus qu’inspirée du Stabat Mater du susdit Pergolese.
Le paradis ? Pas loin, vraiment pas loin…
Antonio Vivaldi
Clare Stellae, scintillate RV 625
« Domine Deus » – extrait du Gloria en Ré Majeur
Georg Friedrich Haendel
« What passion cannot Music raise and quell ! » – extrait d’Ode for St. Cecilia’s Day
Alessandro Marcello
Concerto en ré mineur pour hautbois et cordes
Giovanni Battista Pergolesi
Stabat Mater
Bis :
Haendel
« Lascia la spina cogli la rosa » – extrait d’Il trionfo del Tempo e della Verità
Vivaldi
« Cum dederit » – extrait du Nisi Dominus
Bach
« Amen » extrait de « Tilge, Höchster, meine Sünden » BWV 1083
Auditorium – Opéra de Bordeaux, concert du vendredi 03 décembre 2021, 20h00