Une vision fervente et dramatique de l’oratorio le plus célèbre de Haendel dans le cadre prestigieux de la Chapelle Royale du château de Versailles.
Dans l’Angleterre du long XIXe siècle, siècle chantant vu l’essor prodigieux de ses sociétés chorales, deux œuvres dominent longtemps le répertoire de leurs festivals, Le Messie de Haendel et l’Elijah (Elias en allemand) de Felix Mendelssohn, fervent admirateur de Haendel, composé pour le festival de Birmingham de 1846, l’un donné pour l’Avent et l’autre pour Pâques. Preuve de l’immense popularité de son oratorio, dans Westminster Abbey, le monument funéraire de Handel (sic), naturalisé anglais en 1727 d’où cette graphie, montre le compositeur sans sa perruque, la plume à la main, composant son « Mesiah » (sic) et l’admirable aria de la soprano « I know that my Redeemer liveth » (n° 44), véritable acte de foi protestante qui lui a sans doute valu son entrée au Panthéon britannique.
C’est un oratorio sans perruque et sans faute d’orthographe, mais plein de ferveur et d’engagement dramatique que nous ont présenté les excellents solistes, les chœurs et la petite bande de la Chapelle Harmonique de Valentin Tournet, associée depuis quatre saisons aux programmations du Château de Versailles, mais dirigée ce soir-là par Gaétan Jarry.
Le cadre prestigieux et monumental de la Chapelle Royale se prêtait naturellement à l’œuvre et il n’est pas sûr qu’il n’ait pas influencé la réception et l’accueil chaleureux et enthousiaste que le public a réservé à l’interprétation de Gaétan Jarry. Handel dit-on « invente » l’oratorio anglais en 1732 lorsque l’évêque de Londres interdit la présentation de personnages bibliques sur une scène d’opéra et que son public se lasse de ses opéras italiens, sa source de revenus. Il n’est pas étonnant alors que ce tempérament dramatique surgisse dans son oratorio et les solistes de Gaétan Jarry ont souligné le côté opératique de certaines de leurs interventions.
Chiara Skerath "Rejoice" (Le Messie, Händel)
Ainsi la soprano Chiara Skerath, soprano lyrique au timbre fruité, vive et expressive dans ses rôles mozartiens, et l’alto (countertenor) Alex Potter, spécialiste de Bach et Handel, ont joué autant que chanté leur partie, se laissant parfois emporter par les affects inscrits dans leur partition, reflétant une vision de l’œuvre d’un baroque quasi italien que justifie le fécond séjour romain du compositeur, alors que le ténor Krystian Adam, habitué du répertoire seria et buffo des XVIIe et XVIIIe siècles, est resté plus hiératique. Certains numéros des chœurs présentent des rythmes proches de la danse, notamment dans la première partie, et des jeux antiphonique d’une partie du chœur à l’autre que soulignaient la gestique et la direction très expressives de Gaétan Jarry, constamment soucieux d’insuffler son énergie à ses troupes.
L’acoustique redoutable de la chapelle pouvait faire redouter un brouillage de la masse sonore, notamment lorsque chœurs ou solistes se lancent dans ces séries vertigineuses de vocalises serrées et de doubles croches qui participent du dynamisme et du dramatisme de la partition, mais les chanteurs ont su préserver leur netteté, du moins aux oreilles des privilégiés des premiers rangs, dont votre serviteur. Certains numéros en fin de deuxième partie et ou de la troisième sont plus austères car plus soucieux d’apologétique chrétienne que de drame, mais un Hallelujah éblouissant et les airs « Why do the nations » n°39 et « The trumpet shall sound » n°47 de la basse, Raimund Nolte, spécialiste des rôles de Handel et très prisé pour ce répertoire dit « de concert », ont su retrouver cette force dramatique et communiquer au public leur énergie intrinsèque.
Mes compliments aux solistes pour leur diction en anglais, notamment à Chiara Skerath, et pour leur mise en valeur de ce texte de la Bible de Jacques Ier, contemporain de Shakespeare. Mes seuls regrets : que l’on donne à l’alto l’air « But who may abide » n°6, après le récitatif de la basse « Thus saith the Lord » n°5, qui à mon humble avis introduit un déséquilibre d’ordre dramatique et musical, et, malgré tout le talent d’Alex Potter, l’absence d’une voix de femme, celle de Kathleen Ferrier par exemple, pour la grande déploration du « He was despised » n°22. Mais la reprise de l’Hallelujah éclatant donné en bis en fin de concert, a vite fait de les balayer.
Chiara Skerath, Soprano
Alex Potter, Alto
Krystian Adam, Ténor
Raimund Nolte, Basse
La Chapelle Harmonique, dir. Gaétan Jarry
Le Messie
Oratorio en trois parties de George Frederick Handel (1742), livret de Charles Jennens sur des textes tirés de la Bible
Chapelle Royale, Château de Versailles, mercredi 8 décembre 2021