Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre National de France et le Chœur de Radio France dans un superbe concert pour l’anniversaire de la mort de Camille Saint-Saëns
À chaque année ses anniversaires et 2021 a vu celui de la mort de Camille Saint-Saëns (1835-1921), décédé le 16 décembre à Alger, éternel souffreteux qui fit preuve d’une longévité extraordinaire, auquel Radio France a rendu hommage toute cette année dans ce qui ressemble étrangement à une campagne de réhabilitation du compositeur, amplement justifiée d’ailleurs, s’il on en croit les notes de Benjamin François dans le programme du concert de ce mercredi 15 décembre. La devise de Saint-Saens à l’issue de la guerre de 1870 fut « Ars Gallica » et on aimerait que les organisateurs de concert s’en rappellent avant que leur vision comptable de la musique ne condamne pour toujours à l’oubli des compositeurs français de haute tenue mais moins vendeurs que Ravel et Debussy.
Assez étrangement intitulé « Concert de Noël », évoquant quelque oratorio de circonstance comme l’Oratorio de Noël de Saint-Saëns lui-même, le programme réunissait deux œuvres majeures du compositeur, sa trop peu jouée Messe de Requiem, et sa très célèbre Troisième Symphonie « avec orgue ». Le couplage était judicieux puisque l’orgue, longtemps l’instrument de Saint-Saëns à la Madeleine, occupe une place importante dans les deux œuvres, de même que le thème funèbre du Dies irae qui hante le Songe de la nuit de sabbat dans la Symphonie Fantastique de Berlioz comme la Totentanz de son ami Franz Liszt, dédicataire de cette Troisième Symphonie. Ce Dies irae hante encore L’aquarium, la septième pièce de son Carnaval des Animaux, grande fantaisie zoologique, composé par Saint-Saëns la même année que la Troisième Symphonie (1886), qui est devenu le thème sur lequel les vedettes du cinéma montent les marches du Palais du festival de Cannes et dont les ondulations ruisselantes se retrouvent dans la partie de piano au final de la symphonie. Le Dies irae l’irrigue de manière protéiforme et il y a une dimension berliozienne dans la course à l’abime haletante de l’Allegro fugué qui suit l’entrée majestueuse de l’orgue dans le final que Cristian Măcelaru s’est plu à souligner, sans pour autant enlever à l’apothéose finale sa jubilation triomphante, quasi haendéelienne dans son côté « Mort où est ta victoire ? ».
Comme le Requiem de son élève et ami Gabriel Fauré, la Messe de Requiem de Saint-Saëns est une œuvre aux dimensions intimes (35 minutes) malgré la présence d’un chœur, de quatre solistes et de quatre harpes, insolites dans cette nomenclature, qui viennent principalement ponctuer les phrases du chœur dans l’Hostias. C’est le chœur, magnifiquement préparé par Martina Batič et ici déployé sur tout le demi-cercle de la scène, qui domine l’ouvrage. Rares sont les interventions des solistes, Veronique Gens, soprano, Aliénor Feix, mezzo-soprano, Julien Behr, ténor et Nicolas Testé, basse, tous excellents mais réduits à la portion congrue, qui se font hors de cette masse chorale, comme dans le quatuor de l’Oro supplex. Le ténor se taille la part du lion dans le Rex Tremendae et Julien Behr a dialogué élégamment et avec sensibilité avec le chœur. On ne remerciera jamais assez le compositeur d’avoir réuni à la mélodie expressive de son Agnus Dei les douloureux accords de cor et des cordes qui ouvrent son Introït (Requiem et Kyrie) et la déploration du cor anglais du Quid sum miser qui conclut son Dies Irae. Sorte de coda à l’ouvrage, il y passe les accents de l’Air de la meule au dernier acte de son Samson et Dalila et Cristian Măcelaru, l’orchestre et le chœur ont souligné le noble dramatisme et l’émotion sincère de la partition de Saint-Saëns, qui s’est toujours rêvé grand compositeur d’opéra, loin de l’académisme dont ses rivaux et successeurs, Debussy en tête, l’ont accablé.
C’est le même climat de déploration qui ouvre la Troisième Symphonie, avec cette tierce mineure descendante des cordes et l’appel pathétique du hautbois et des flûtes dans l’Adagio qui précède l’entrée du thème dérivé du Dies Irae en doubles croches détachées et la marche des bois et des vents que ponctuent les timbales. Puis c’est l’apaisant dialogue entre l’orgue et les cordes de l’Adagio central auquel Cristian Măcelaru a su donner l’impalpable sensualité et le lyrisme fervent. Olivier Latry s’est retrouvé dans la même position que ses camarades solistes dans la Messe de Requiem, instrument parmi les autres dans la masse orchestrale, rarement à découvert, ajoutant du velouté comme dans un fond de sauce ou déchainant ses forces pour le choral majestueux qui ouvre la dernière partie avant la course à l’abime où Cristian Măcelaru a mené ses troupes fermement, dosant ses effets et les contrastes dynamiques sans trop presser, jusqu’à l’apothéose finale qui a déchainé les bravos enthousiastes de la salle.
À son public électrisé, Cristian Măcelaru ne pouvait refuser un bis, et comme il connait bien son Saint-Saëns, dont il a gravé l’intégrale des symphonies avec le même orchestre, il lui a offert l’élégant menuet en demi-teinte de sa Deuxième Symphonie en La mineur où passe l’esprit apaisant de Joseph Haydn, histoire de faire baisser la température dans l’auditorium survolté.
Dormez en paix monsieur Saint-Saëns.
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Ne manquez pas notre grand dossier consacré à Camille SAINT-SAËNS.
Le premier épisode concocté par Sabine Teulon-Lardic est à découvrir ici.
Véronique Gens soprano
Aliénor Feix mezzo-soprano
Julien Behr ténor
Nicolas Testé basse
Olivier Latry orgue
Chœur de Radio France
Martina Batič chef de chœur
Orchestre National De France
Cristian Măcelaru direction
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Messe de Requiem pour soli, chœur et orchestre, op. 54
Symphonie n°3 en ut mineur op. 78 « avec orgue »
Maison de Radio France, mercredi 15 et jeudi 16 décembre 2021