Feuilleton 1 : Concert de l’Académie Jaroussky et masterclasse du contre-ténor à l’Opéra-Comédie de Montpellier
La résidence de Philippe Jaroussky à l’Opéra de Montpellier produit de beaux fruits cet hiver. Après le concert des lauréats de son Académie le jour de la Saint-Valentin, la masterclass que le contre-ténor offre est attrayante dans la coquette salle Molière de l’Opéra-Comédie. Point d’orgue de la semaine qui lui est dédiée, le concert Haendel for ever déploie les fastes baroques de son Ensemble Artaserse, avec la soprano hongroise Emőke Baráth, sa partenaire privilégiée. Lors de chaque manifestation, le public montpelliérain et héraultais remplit les rangs.
Concert Saint-Valentin des lauréats de l’Académie Jaroussky à l’Opéra-Comédie
« Conscient de la chance qu’il a eue de faire certaines rencontres déterminantes, Philippe Jaroussky a souhaité́ donner à son tour cette même chance à des jeunes », lit-on sur le site de l’Académie Jaroussky, fondée en 2017 dans le cadre de l’ouverture de la Seine musicale.
Pour ce concert de lauréats dans la salle Molière de l’Opéra-Comédie (Montpellier), le cœur des auditeurs-auditrices bat la chamade, jour de la Saint-Valentin. Deux jeunes chanteurs et trois instrumentistes présentent un éventail de pièces instrumentales et vocales en résonance de cette célébration. Ouvert par le Trio en la m op. 50 de P. I. Tchaïkovski, le programme exclusivement romantique déroule une succession de pièces pas si courantes. La sélection cherche en outre à inclure les deux instrumentistes à cordes dans les prestations vocales. Si le violoniste (Victor Andrey) et surtout la violoncelliste (Bertille Arrué) sont de bons partenaires, les arrangements musicaux sont souvent sans pertinence …
Écouter les amours heureuses : c’est ce qui surgit de Lieder de Robert Schumann ou de la mélodie de Gabriel Fauré sur les vers de Victor Hugo (Puisqu’ici-bas toute âme). S’abandonner à la sensualité d’A Marechiare, célèbre chant napolitain de F. P. Tosti, résonne dans la thématique. Les amours nostalgiques sont également déclinées depuis la mélodie berliozienne Le Spectre de la rose, sous les vers de T. Gautier, jusqu’aux pathétiques implorations de l’ondine slave Rusalka d’Anton Dvorak. Romantisme oblige, mêmes les amours défuntes surgissent dans Allersselen (Jour des morts) de Richard Strauss.
Maniant le français, l’italien, l’allemand et le russe, les deux jeunes chanteurs sont fort convaincants sur l’estrade de concert, notamment par leur écoute chambriste du piano, dont Wenjia Guo (jeune carrière en Chine et en France) assure la totalité des accompagnements. Formée au CNSM de Lyon dans la classe de Mireille Delunsch, la soprano Chloé Jacob fait montre d’une technique assurée et d’une richesse de timbre appréciable. Le timbre mordoré fait éclore le Lied Allerseelen de R. Strauss et l’ampleur des aigus confère une émotion patente à la célèbre Prière à la lune de l’opéra Rusalka : « O lune, arrête-toi un moment, Dis-moi, veux-tu, où est mon amour ! » (1er acte), en dépit d’un écart de justesse en finale. Quoi qu’il en soit, cette prestation atteint le pic d’émotion de la soirée.
Après ses études au CRR de Toulouse et au CNSM de Paris, le ténor Bastien Rimondi commence à aborder des rôles secondaires sur scène (Opéra de Massy) en sus de concerts avec son duo Florestan (primé au Concours de la mélodie de Gordes). Ce soir, il se qualifie par un sens aigu du phrasé, un timbre chaleureux qui pourrait cependant s’étoffer en couleurs et une belle diction française. On discerne une connexion privilégiée avec le répertoire russe. L’air de Lenski d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski est un second climax émotionnel de la soirée. Deux artistes à suivre !
La masterclasse de Philippe Jaroussky : une pédagogie ludique
Dans la même salle Molière, la masterclass de Philippe Jaroussky est un moment attrayant tant la pédagogie que pratique le contre-ténor est ludique et bienveillante. Basés sur ses propres démonstrations vocales, ses conseils s’orientent tant vers l’émission vocale et la posture corporelle que vers l’attention portée au vers chanté et à la musicalité. Au fil des échanges humoristiques avec le public – de jeunes étudiants-étudiantes et des auditrices aux cheveux blancs – l’artiste crée une connivence qui produit ses fruits. Dès qu’une chanteuse parvient au résultat espéré sur un fragment, les applaudissements crépitent spontanément ! En pédagogue expérimenté depuis la fondation de son Académie (2017), il ne se cantonne pas au répertoire baroque et classique, de G. F. Haendel à C. W. Gluck et Mozart. Sa compétence est tout aussi renseignée dans les airs d’Offenbach, de Massenet ou Montsalvatge. Sa partenaire, la pianiste Anne-Lise Dodelier, est d’une réactivité exemplaire.
Sélectionnés sur quantité de candidatures, quatre jeunes montent ce soir sur l’estrade : 3 mezzo-soprani françaises et un ténor (chinois ?). Julie Nemer a une belle aisance dans la vocalise et un dynamisme juvénile qu’elle perfectionne auprès du maître dans une aria di furore d’Alcina de G.F. Haendel et le piquant récitatif/air de Rosine du Barbiere di Siviglia de Rossini.
Anouk Defontenay a plus d’un atout (stylistique) dans ses cordes vocales. De la plainte de l’amant Orphée (C. W. Gluck) jusqu’à l’abattage de « Ah que j’aime les militaires ! » de La Grande duchesse de Gérolstein, sans oublier la Berceuse chaloupée de Montsalvatge (Cinco canciones negras), la mezzo s’adapte aux rôles … et aux conseils de P. Jaroussky.
Le ténor Qingyue Yang avoue chanter pour la première fois sur une scène d’opéra. S’il s’engage pleinement dans l’air de Werther (« Pourquoi me réveiller, O souffle du printemps »), le chemin est encore long à parcourir.
La prestation d’Eugénie Jouneau serait la surprise de la soirée, si elle ne figurait déjà … aux Révélations d’artiste lyrique des Victoires de la musique 2022 ! La largeur de la voix, la rondeur du grave et du médium et la longueur sur le souffle sont valorisées dans l’air de Sapho de C. Gounod (« O lyre immortelle »), puis dans le mozartien « Parto, parto » de La Clemenze di Tito, aux vocalises assassines (jusqu’au contre-sib). Le tout serait-il susceptible d’évoluer vers le soprano dramatique ou Falcon ?
Artistes du concert Saint-Valentin :
Chloé Jacob, soprano
Bastien Rimondi, ténor
- Concert « Saint-Valentin » des lauréats de l’Académie Jaroussky, 14 février à l’Opéra-Comédie : œuvres de P. I. Tchaïkovsky, R. Strauss, S. Rachmaninov, F. Mendelssohn, Clara et Robert Schumann ; H. Berlioz, J. Massenet, G. Fauré, A. Dvorak, F.P. Tosti, E. de Curtis.
- Masterclasse de Philippe Jaroussky, 18 février à la salle Molière de l’Opéra-Comédie
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Cette première loge est toujours aussi passionante à découvrir. La chronique de Sabine Teulon n’a pas la sécheresse de certains compte rendus mais la finesse du style permet d’apprécier les appréciations sur la musique ou les artistes.
Continuez ainsi et encore mrci Sabine