À Nice, Sophie Koch et des couleurs locales qui font du bien…
Dans un programme centré autour de l’inspiration des couleurs locales en musique, le nouveau chef principal de l’orchestre philharmonique de Nice Daniele Callegari et la mezzo-soprano Sophie Koch jouent d’une belle complicité entre chant occitan, danse rituelle ibérique et fandango asturien.
Entre goût du terroir et exotisme
Stimulante idée que celle des programmateurs de ce concert mêlant le symphonique à la voix humaine : évoquer l’influence essentielle qu’eurent le régionalisme – dans ce qu’il a de plus noble – et un certain exotisme dans l’inspiration des compositeurs des XIXe et de la première moitié du XXe siècle. Particulièrement propice aux voyages à la fois en Europe mais aussi en Orient, du fait du développement des moyens de transport et, bien évidemment, de l’expansion coloniale, cette période est également celle du réveil des provinces, qui voit de nombreuses régions de France s’intéresser à leurs racines populaires et culturelles voire, pour certaines, aller jusqu’à une authentique renaissance de leur langue. Des collectes du folklore et des poèmes des bardes bretons par le vicomte Hersart de La Villemarqué qui serviront de contexte à certaines œuvres de Guy Ropartz jusqu’aux études musicologiques du languedocien Déodat de Séverac et de l’ardéchois Vincent d’Indy, en passant par la référence obligée au Félibrige mistralien, le régionalisme a posé ses empreintes sociales et culturelles sur le domaine musical [1].
La beauté bucolique des paysages musicaux de Joseph Canteloube
Avec un tel dénominateur commun, il était légitime que le programme fasse la part belle à Joseph Canteloube et à ses célèbres Chants d’Auvergne. En effet, si le compositeur bien oublié du Mas, opéra du terroir composé en 1926, continue à être au programme des concerts du monde entier, c’est bien par son cycle de cinq recueils composés entre 1923 et 1930. S’il n’a pas vraiment collecté lui-même ces airs traditionnels auvergnats, issus en particulier des chants de bergers et des rythmes de bourrées, Canteloube s’est avéré un orchestrateur brillant qui a su harmoniser une matière brute pour en dégager toute la poésie bucolique mais aussi l’humour grinçant.
Puisant dans les recueils 1 et 3 du cycle, Sophie Koch dégage parfaitement les contrastes et les clairs-obscurs contenus dans ces partitions, passant des onomatopées les plus agiles à la rêverie contemplative nécessitant un art du lied consommé. La mezzo française trouve d’ailleurs dans le chef d’orchestre italien – qui, pour l’occasion, dirige son premier concert avec l’orchestre philharmonique – un complice attentif et musicalement à l’écoute de chacune de ses inflexions. Dans des mélodies telles que la majestueuse Baïlèro – efficacement soutenue par le piano de Thibaud Epp – la chanteuse et le chef nous transportent dans un paysage onirique de fort belle facture.
Tout au long de ce programme, on est emballé par la manière dont Daniele Callegari sait mettre en valeur les dialogues des divers pupitres de son orchestre : hautbois et clarinette dans Canteloube, bois, premier violon, violoncelles, trompette chez De Falla, cors et trompettes, violon, flûte, clarinette et harpe particulièrement sollicités pour Rimski-Korsakov.
Si dans ses interventions de L’Amour sorcier, on a trouvé moins fièvreuse qu’il ne le faudrait, selon nous, la voix de celle qui demeure l’Octavian et le Komponist les plus exceptionnels de sa génération (question de tempérament ?), l’orchestre, chauffé à blanc par son chef, sait conserver une urgence dramatique et une parfaite maîtrise des contrastes, si essentielle ici à la construction d’ensemble. Comme on pouvait s’y attendre, le public est très enthousiaste aux accents de la « danse rituelle du feu », l’un des moments les plus attendus de cette partition évidemment somptueuse.
Autre grand explorateur des sonorités exotiques de son temps, en sa qualité de navigateur et d’authentique compositeur orientaliste, Nicolaï Rimski-Korsakov a ramené de son voyage en Espagne des mélodies qui, avec ce Capriccio espagnol, op.34 entraînent l’auditeur dans un univers flamboyant et fantasmé. D’emblée, les clarinettes, avec le rythme de danse enjouée de l’alborada, donnent le ton d’ensemble à un orchestre vif argent qui trouve dans cette pièce de quelque quinze minutes un terrain privilégié pour mettre en valeur la virtuosité de ses pupitres. C’est en particulier dans les brillantes cadences de la scène et danse gitane puis du fandango asturien, qui clôt en apothéose jubilatoire ce concert, que l’entente entre le chef et sa phalange s’avère la plus prometteuse pour la suite de leur collaboration.
Rendez-vous est donc pris fin avril avec un tout autre univers : celui de Richard Strauss et d’Anton Bruckner.
[1] Voir sur ce sujet les passionnantes communications publiées dans les actes du colloque Provence et Languedoc à l’opéra en France au xixe siècle : cultures et représentations sous la direction de Jean-Christophe Branger et de notre consœur à Première Loge Sabine Teulon Lardic (Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2017).
Sophie Koch mezzo-soprano
Orchestre Philharmonique de Nice
Daniele Callegari direction musicale
Joseph Canteloube (1879-1957)
Chants d’Auvergne, volumes 1 et 3
Manuel de Falla (1876- 1946)
El amor brujo (L’amour sorcier)
Nicolaï Rimski-Korsakov (1844-1908)
Capriccio espagnol, op. 34
Opéra de Nice, concert du samedi 2 avril 2022, 16h00