Dans la série Les Grandes Voix, le Théâtre des Champs Elysées présentait samedi soir ce chef-d’œuvre de Massenet en version de concert pour une unique représentation de cet opéra après quelques années d’absence. Le livret de Louis Gallet, inspiré d’Anatole France, dénonce habilement le fanatisme religieux de tout poil tout en soulignant, avec l’appui d’un Massenet en grande forme, les liens entre extases mystique et érotique d’une manière qui aurait suscité l’approbation de la Madre Teresa d’Avila.
Unique, cette représentation le fut. Elle n’effacera pas des mémoires celle que donnaient il y quelques années Renée Fleming et Gerald Finley mais je n’ai pas souvenir d’une ovation aussi frénétique à l’issue de leur concert. Dès les derniers accords de l’orchestre, ce fut comme un rugissement de plaisir, à l’image de l’incendie qui s’empare du palais de Thaïs à l’acte II. Au mépris des gestes barrière et du livret, on vit ensuite Athanaël (Ludovic Tézier) embrasser la Thaïs d’Ermonela Jaho avant qu’une longue accolade réunisse les sept chanteurs, le chef Pierre Bleuse et le premier violon, Luc Héry, sous les vivats des spectateurs enfiévrés. Un dépistage général s’impose.
Cet enthousiasme était largement mérité, avec un trio principal de rêve et des seconds rôles de très grande qualité, essayant tous d’incarner leurs personnages dans la limite d’une version de concert. Dans un costume de ville strict, le baryton Ludovic Tézier en grande forme offrait le grain d’une voix mêlant l’éclat et la dureté du diamant et proposait un personnage tout d’une pièce qui révèle progressivement sa fêlure et les tentations de la sensualité. Vêtu du velours pourpre des jouisseurs, le ténor Pene Pati (interview à découvrir ici), pour moi une heureuse révélation, a prêté sa voix de velours, ses belles nuances et sa diction parfaite au rôle de Nicias. Face à eux, Ermonela Jaho a fait preuve d’immenses talents de comédienne dans l’incarnation d’un rôle aux nuances multiples, passant de la douceur dans ses premiers échanges avec Nicias à la douleur du doute devant son miroir, modelant de son corps sa ligne de chant. Elle possède agilité et puissance et des aigus faciles et sûrs, mais on regrette parfois un petit vibrato gênant. Guilhem Worms, baryton-basse, a apporté au rôle de Palémon l’hiératisme et la noblesse d’un Père Supérieur. Cassandre Berthon, Crobyle, Marielou Jacquard, Myrtale, Marie Gautrot, Albine, complétaient agréablement la distribution.
Enfin, il faut citer l’Orchestre National de France et le Chœur de Radio France que dirigeait Pierre Bleuse, attentif aux nuances d’une partition complexe qui passe de l’univers chambriste, avec une prédilection pour le quatuor de violoncelles, à une grandiloquence assumée, ou à la création d’un climat avec presque rien. Pour ceux qui n’étaient pas convaincus — mais qui fait vraiment attention à l’orchestre quand il est dans la fosse ?—, le chef a apporté la preuve d’un Massenet grand symphoniste, à l’aise dans la miniature, cette fameuse Méditation entre autres, comme dans la fresque. Ainsi le prélude à l’air d’Athanaël « Voici donc la terrible cité » fait de cette scène un morceau d’anthologie du théâtre lyrique. Tant est grand ici le génie de Massenet dans sa peinture délicate des complexités de l’âme humaine qu’on voudrait n’entendre que l’orchestre, tentation qui m’a souvent effleuré ce soir-là. Mais cela aurait été dommage de ne pas avoir les voix. Un dernier mot pour saluer le premier violon dans sa recréation sensible de la Méditation et féliciter les artistes qui nous ont offert cette grande joie.
Thaïs : Ermonela Jaho
Athanaël : Ludovic Tézier
Nicias : Pene Pati
Palémon : Guilhem Worms
Crobyle / La Charmeuse : Cassandre Berthon
Myrtale : Marielou Jacquard
Albine : Marie Gautrot
Les cénobites : Cyril Verhulst, Mathieu Cabanes, Pascal Bourgeois, Patrick Ivorra, Pierre Benusiglio
Un serviteur : Robert Jezierski
Orchestre National de France
Chœur de Radio France, direction Franck Villard
Pierre Bleuse, direction
Thaïs
Comédie lyrique en trois actes et sept tableaux de Jules Massenet (1894), livret de Louis Gallet d’après le roman éponyme d’Anatole France.
Représentation du samedi 09 avril 2022, Paris, Théâtre des Champs Elysées (en version de concert).
1 commentaire
Mais pourquoi Ludovic gardait-il tellement nez dans la partition, alors qu’il connaît le rôle, l’empêchant de répondre au jeu d’une Ermonela fantastique faisant oublier qu’il s’agissait d’une version concert de cet opéra magnifique trop peu joué.