Devant une telle distribution, nous ne pouvons que souhaiter le retour de l’œuvre à l’affiche.
Pas facile d’obtenir des places pour cette Anna Bolena : le Théâtre des Champs-Élysées (à moins que ce ne soit le fait de l’organisateur-partenaire, Les Grandes Voix) a même dû revenir sur sa décision d’octroyer certaines invitations presse, « devant le nombre élevé de demandes de réservations de la part du public » ! Pour entendre cette version de concert d’Anna Bolena, nous avons heureusement pu trouver une place de dernière minute, avec ce que cela implique en matière de désagrément visuel et acoustique, mais qu’à cela ne tienne… c’est bien à une exécution d’exception que nous avons assisté ce soir.
Trois prises de rôles étaient initialement annoncées : Sonya Yoncheva dans le rôle-titre, Marianna Crebassa (Giovanna Seymour) et Enea Scala (Lord Riccardo Percy). Finalement ce ne fut que celle de ce dernier. Ayant déclaré forfait, les deux cantatrices ont été remplacées respectivement par Marina Rebeka, qui avait déjà incarné la reine malheureuse à Bordeaux en 2019, après avoir gravé la scène finale dans son album Spirito de 2018, et par Karine Deshayes, encore toute fraîche des représentations zurichoises de l’hiver dernier.
Dès sa brève introduction, la mezzo-soprano française donne le la de la soirée : ce sera un concert sous le signe de la générosité et de l’émulation. Son rôle n’est cependant pas le plus flatteur de la partition, la rivale n’ayant que peu d’occasions pour s’illustrer. Percutante dans la célèbre rencontre des deux reines, elle sait être persuasive dans le premier échange avec le roi, puis déchirante dans le cri de désespoir lancé à l’annonce de la condamnation d’Anna.
Royale Anna
Accompagnée du Smeton enjoué et idiomatique d’Héloïse Mas, dont les variations de couleur et les trilles confèrent au rôle du page une expressivité qui se confirme dans la cavatine ultérieure, Marina Rebeka apparaît en tout point royale dès sa sortita, dont la ligne savante du larghetto est relayée par les riches ornementations de l’allegro. Les sons filés qu’elle déploie lors des retrouvailles avec son ancien promis donnent le frisson, tout comme l’appel déchirant souligné par un aigu sans faille à l’issue du finale I, après une strette étincelante soutenue par la complicité lumineuse de la clarinette. Prodigieuse, la descente dans le grave de l’infamie laisse alors la place à une complicité avec sa consœur que ne saurait autoriser une version scénique. Très dramatique dans le récitatif introduisant la scène de folie, elle devient extatique dans une cavatine du souvenir au legato admirable, la tendresse se sublimant dans les demi-teintes du long tempo di mezzo, avant l’autorité d’une cabalette à toute épreuve.
Impérieux Enrico
Si la soprano lettone est donc souveraine de bout en bout, côté hommes, Erwin Schrott est impérieux dans Enrico VIII, un mari-tyran qu’il maîtrise à la perfection et qu’il flatte de couleurs impressionnantes dans la menace – et ce, dès celui qui est censé être un chant d’amour avec Giovanna –, d’un grave caverneux, notamment dans les foudres du finale central, d’un declamato et d’une diction hors pair, malgré quelques doubles consonnes hésitantes dans la strette du trio de l’acte II avec Anna et Percy.
Sublime Percy
Dans Percy, Enea Scala déploie une voix qui s’élargit de plus en plus avec le temps, notamment dans les beaux effets de tonalité du duo avec Anna, où l’on perçoit aisément la filiation rossinienne de ce rôle écrit pour Giovanni Battista Rubini, bonne école qui ne peut que profiter à l’épanouissement du baryténor donizettien. Dès son air de présentation, le chanteur italien enrichit la vaillance de la cavatine de clairs-obscurs plus qu’opportuns à l’intelligence de la psychologie du personnage, ciselant le tempo di mezzo avec le Rochefort complice de Matthieu Lécroart d’une précision d’orfèvre, et débouchant sur une cabalette où le jeu sur le grave rivalise avec les notes aiguës. C’est un souci de la nuance que l’on retrouve dans la sublimation du quintette (« Ah! pensava a me lontano ») et dans le larghetto du trio (« Fin dall’età più tenera »), et qui se reflète dans le saisissant legato du dernier air et dans la grandiose cabalette de la mort, chantée dans la plus grande aisance, sans falsettone.
Hervey engagé de Raphaël Brémard qui semble vouloir relever le défi de tels complices.
Direction minutieuse de Maurizio Benini, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, dont on retient la belle performance des cordes, malgré des vents parfois un peu agressifs, surtout dans l’ouverture. L’Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne donne adroitement la réplique aux artistes.
Le public applaudit à n’en plus finir. Triomphe bien mérité !!!
Et demain ?
Devant une telle distribution, nous ne pouvons que souhaiter que Marina Rebeka prenne l’initiative de réunir ses collègues pour un enregistrement de studio, comme elle l’a fait récemment pour des titres semblables, publiés par l’étiquette qu’elle a fondée. (Voyez notamment la remarquable intégrale du Pirate de Bellini récemment parue). Les versions officielles d’Anna Bolena ne sont pas légion.
Sans compter qu’un retour de l’œuvre à la scène serait pour le moins bénéfique. Le Théâtre des Champs-Élysées avait déjà donné Maria Stuarda en 2015 et avait programmé une série de représentations de Roberto Devereux en 2020, hélas annulées. Un répertoire auquel pourrait s’intéresser davantage l’Opéra national de Paris aussi. Il faut sans doute du courage. À l’étranger, des institutions équivalentes le trouve, et pas qu’en Italie.
Anna Bolena Marina Rebeka
Giovanna Seymour Karine Deshayes
Enrico VIII Erwin Schrott
Lord Riccardo Percy Enea Scala
Lord Rochefort Matthieu Lécroart
Signor Hervey Raphaël Brémard
Smeton Héloïse Mas
Direction Maurizio Benini
Orchestre de chambre de Paris
Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne
Anna Bolena
Tragedia lirica en deux actes de Gaetano Donizetti, livret de Felice Romani, créé au Teatro Carcano de Milan le 26 décembre 1830.
Théâtre des Champs-Élysées, lundi 11 avril 2022, 19h30
1 commentaire
Grazie prof. Faverzani del suo puntuale resoconto di quello che sembra essere stato un grande successo! Questa Bolena ha un cast di tutto riguardo e, pur non avendo ascoltato che pochi brani di una precedente messa in scena (dove era presente madame Rebeka) il suo scritto fa vivere la disperazione, la paura, la sopraffazione, dovute alla follia di un un uomo che, proprio per non fare i conti con i limiti dell’essere un umano, attraverso il potere regale ha teso a farsi « Dio » !! Donizetti ne ha fatto un coacervo di emozioni che le voci, come lei scrive, sostenute da una perfetta, sensibile, orchestrazione ci portano dal buio più totale alla luce di una non rassegnata espiazione …