Chefs-d’œuvre oubliés aux Invalides
Aux Invalides, l’Orchestre et Chœur des Université de Paris présentent des œuvres de Louise Farrenc et Guy Ropartz
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Dans le cadre de la Saison Musicale des Invalides et de sa cathédrale Saint-Louis, l’Orchestre et Chœur des Université de Paris (O.C.U.P) présentaient courageusement mardi dernier trois œuvres de musique française de Louise Farrenc (1804-1875), Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) et Julien Bellanger, jeune compositeur dont c’était
la création d’une commande pour chœur et orchestre émanant de l’O.C.U.P. Elles étaient réunies sous le titre de « Requiem pour la paix », formulation aussi ambiguë que le titre choisi par Benjamin Britten pour son War Requiem, mais hélas inspirée lui aussi par la folie de notre temps de guerre.
La surprenante Louise Farrenc
Comme le faisait remarquer le chef du chœur Guillaume Connesson dans sa présentation, Louise Farrenc fait partie de ces femmes compositrices nées au XIXe siècle, comme Louise Bertin, Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Pauline Viardot, Mel Boni, Cécile Chaminade et Lili Boulanger, dont les œuvres sont rarement ou presque jamais jouées et les noms connus des seuls lecteurs d’Histoires de la musique. Il s’agit ici d’une musicienne au talent reconnu, grande pédagogue à la longue carrière d’enseignement du piano au Conservatoire de Paris dont l’œuvre, 40 numéros d’opus essentiellement consacrés à la musique de chambre et symphonique, ne comporte aucun opéra, voie royale pour le succès et la postérité en France à l’époque. Aussi sa Symphonie n°3 en sol mineur, op. 36 de 1847 a pu surprendre plus d’un auditeur par sa maitrise de la forme et de l’orchestre, par la force expressive d’un vrai tempérament aux accents à la fois charmeurs et virils, et les échos de Beethoven dans les deux premiers mouvements et Félix Mendelssohn dans le troisième, ses seuls modèles disponibles à l’époque.
En 2018 j’avais entendu cette symphonie par le Philarmonique de Radio France dirigée par Mikko Franck dans une version, sage, lisse et sans prise de risques. Tout n’a pas été parfait dans l’exécution de l’OCUP : la transition de l’Adagio qui ouvre le premier mouvement à l’Allegro qui suit a été un peu problématique mais le chef Carlos Dourthé a insufflé de la vie à cette partition pleine de contrastes et l’enthousiasme visible et généreux de sa phalange a fait le reste. Très beau solo de clarinette dialoguant avec les cordes dans la romance sans parole de l’Adagio cantabile du deuxième mouvement, rêverie d’un promeneur solitaire qui s’abandonne à ses émotions. Dans le Scherzo : Vivace inspiré par Mendelssohn, Carlos Dourthé a rappelé que les fées qui entourent Titania dans sa musique de scène pour le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, modèle pour toute une génération, n’étaient pas que d’exquises danseuses mais aussi des garnements pleins de malice, offrant ainsi un plus grand contraste avec le Trio central où dialoguent bois et cors dans une pastorale paisible. Si Louise Farrenc n’a pas composé d’opéra, elle possédait néanmoins un tempérament dramatique qui s’exprime dans le Finale : Allegro. Son thème initial semble échappé de l’aria di furore d’un opera seria, avec ces traits rageurs de cordes interrompus par les bois et des silences, alors que la récapitulation finale rappelle la Quarantième Symphonie de Mozart, elle aussi en sol mineur. De la belle ouvrage, généreusement défendue par des amateurs passionnés.
Méditations pour chœur et orchestre
Après l’entrée du chœur, plutôt à l’étroit sur ses praticables, venait Quand suis-je ?, la pièce pour chœur et orchestre de Julien Bellanger, lauréat du concours de composition de l’O.C.U.P. 2019, sur un poème de Yolande Jouanno, partagé entre souvenirs oubliés et confiance en l’avenir. De belle facture, la pièce, tonale, dépeint, dans des couleurs changeantes et des motifs qui apparaissent pour mieux disparaitre, les fluctuations d’une conscience qui s’éveille à la vie d’une manière qui rappelle le britannique Gustav Holst. Bien servie par les voix fraiches et justes du chœur, auquel le léger écho de la cathédrale apportait son moelleux, ce fut un beau moment de temps suspendu, une belle et habile transition dans ce programme vers le Requiem de Guy Ropartz.
Voilà un autre compositeur français bien oublié, comme ses contemporains Alberic Magnard et Gabriel Pierné, malgré une œuvre d’une centaine d’opus. Longtemps directeur du Conservateur de Nancy et de Strasbourg, ce Breton d’Armor à la foi intense compose nombre de partitions de musique religieuse dont le Psaume 129 et la Messe Brève « à Sainte Anne » gravés il y a trente ans, avec son Requiem, par Michel Piquemal et son Chœur Régional Vittoria d’Île de France, qui ont longtemps défendu ce répertoire oublié. Loin des effusions de compositeurs agnostiques confrontés au spectacle de leur mort future, ce Requiem, composé initialement pour le vingtième anniversaire de l’armistice de 1918, est l’acte de foi fervente et la méditation d’un compositeur nourri par La Légende de la mort de son contemporain Anatole Le Braz. Aussi Ropartz rejette-t-il les terribles versets de la Séquence du Dies Irae en faveur de huit morceaux plus sereins, même si l’acceptation du passage vers l’éternité ne se fait pas sans quelque épouvante devant l’Ankou, sensible dans la supplication du Kyrie et dans les tableaux effrayants que dressent l’Offertoire et le Libera me. De même, les interventions des solistes, la soprano Aurélie Ligerot et la mezzo-soprano Gaelle Mallada, sont-elles limitées au Pie Jesu et au Libera me et les paroxysmes de l’œuvre au seul chœur.
La tentation est grande de comparer l’œuvre avec le très populaire Requiem de Fauré et on relève çà et là des échos du langage de la Schola Cantorum et du grégorien, surprenants chez cet élève du Conservatoire. Hormis certaines interventions marquantes, avec notamment celle du cor anglais, l’orchestre apparaît essentiellement comme soutien du chœur, apportant sa ponctuation à sa déclamation, dans des tempos assez uniformes. Peu de répétitions ou de procédés d’imitations dans l’écriture dense des parties chorales et les interventions des solistes, proches de l’aria, éclairent un moment de leurs jolies couleurs la complexité du discours de cette œuvre ardente. Si le court écho de la cathédrale semblait servir la pièce de Julien Bellanger, autant les effectifs pléthoriques du chœur m’ont semblé nuire à la lisibilité des motifs de cette œuvre sans concession à la virtuosité et demandant un surcroit d’attention à l’auditeur pour en capter toutes les richesses. C’est le seul bémol que j’apporterai à ce très beau concert, avec mes compliments au chef, au chœur et à l’orchestre de ces amateurs dont l’engagement pour et dans la musique fait chaud au cœur.
Aurélie Ligerot soprano
Gaelle Mallada mezzo-soprano
Orchestre et Chœur des Université de Paris
Guillaume Connesson chef de chœur
Carlos Dourthé direction
Louise Farrenc (1804-1875)
Symphonie n°3 en sol mineur, op. 36
Julien Bellanger
Quand suis-je ?, pour chœur et orchestre
Joseph-Guy Ropartz (1864-1955)
Requiem pour soli, chœur et orchestre
Cathédrale Saint Louis des Invalides, mardi 10 mai 2022